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L’Afrique doit être au cœur des négociations sur le climat

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– M. Tanguy Gahouma-Bekale, Président du Groupe africain des négociateurs sur le changement climatique

Par: 

Franck Kuwonu

En 2020, les pays devaient présenter des plans de réduction des émissions plus importants afin d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat. Dans le même temps, en raison de COVID-19, la 26e Conférence des Parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26) qui devait se tenir en novembre à Glasgow, au Royaume-Uni, a été reportée à 2021. Tanguy Gahouma-Bekale, du Gabon, est le président du Groupe africain des négociateurs (AGN) sur le changement climatique. Dans cet entretien avec Franck Kuwonu d’Afrique Renouveau, il parle de l’impact de COVID-19 sur les négociations sur le climat en Afrique, du financement de l’atténuation et de l’adaptation, et de ses priorités pour les deux prochaines années. En voici des extraits.

Afrique Renouveau : La COP 26, initialement prévue pour ce mois de novembre, a été reportée à l’année prochaine en raison de la COVID-19. Quel a été l’impact de la COVID-19 sur le processus de négociation, en particulier en Afrique ?

Tanguy Gahouma : Nous pouvons retarder un événement comme la COP26, mais nous ne pouvons pas retarder les travaux parce que les défis auxquels nous sommes confrontés ne peuvent pas être reportés. En janvier 2021, lorsque la mise en œuvre de l’Accord de Paris commencera, nous vivrons dans un monde « régi » par l’Accord de Paris. Ce sera le début de la mise en œuvre du nouveau régime climatique. Nous avions tant de travail à accomplir avant cela, mais nous n’avons pas pu le faire.

Prenons l’article 6, par exemple. Nous devions travailler sur la manière de structurer les marchés du carbone et nous préparer à mettre en œuvre les règles convenues pour atteindre nos objectifs CND (contributions nationales déterminées) de 1,5 °C ou rester en dessous de 2 °C. Nous pensions terminer ce travail cette année, mais à cause de la COVID-19, nous n’avons pas pu.

Un autre défi consistait à rendre compte des ambitions d’avant 2020. Nous pensions que nous aurions toutes les informations en termes de financement et d’atténuation cette année, mais nous ne pouvons pas travailler sur ce sujet maintenant. Nous y travaillerons après 2020.

En termes de financement, à partir de l’année prochaine, l’accord de Paris stipule un besoin d’au moins 100 milliards de dollars par an pour le financement du climat. Nous avons essayé de travailler sur ce point, mais nous n’avons pas eu de cycle de négociations cette année.

Nous avons encore du travail à faire sur l’adaptation. Nous avons travaillé sur la catastrophe climatique en Afrique, mais nous ne pouvons pas travailler sur les pertes et les dommages. Pourtant, nous avons déjà perdu 2,9 % du PIB à cause de la COVID-19, et il n’y a aucun mécanisme dans le cadre de la convention pour nous aider dans ce domaine.

Cela change-t-il de manière significative les positions et les préoccupations que l’Afrique aurait pu exprimer ?

Non. Nous représentons 54 pays, mais nous avons près de 200 pays dans ce processus complexe et il est vraiment important de s’en tenir à nos positions car nous sommes l’un des continents les plus vulnérables du monde.

Comment se présente la mise en œuvre de l’accord de Paris en Afrique ?

L’accord de Paris est entré en vigueur en novembre 2016, cependant, la mise en œuvre du deuxième engagement du protocole de Kyoto est prévue jusqu’à la fin de 2020, et la mise en œuvre des PND communiqués dans le cadre de l’accord de Paris commence en 2021.

Donc, à partir de cette date, nous évaluerons, peut-être un ou deux ans plus tard, et nous avons un sommet mondial en 2023, qui sera un exercice mondial pour évaluer la mise en œuvre de l’accord

Pensez-vous que les pays africains sont prêts ?

Je pense que la COVID-19 a beaucoup retardé la préparation de nos pays parce que cette année nous avions prévu de réviser les CND. Cela aurait permis à de nombreux pays d’actualiser leurs politiques et d’être au courant des changements pour l’année prochaine. Mais COVID-19 a retardé le processus et je pense que de nombreux pays africains, comme de nombreux pays d’autres régions, ne sont pas entièrement préparés à la mise en œuvre de l’accord de Paris.

Jusqu’à présent, le Rwanda est le seul pays africain à soumettre un CND actualisé. Quel est le degré d’ambition des CDN des pays africains ?

Pour l’Afrique, la question n’est pas d’être ambitieux. Il s’agit plutôt de l’exactitude des données et des chiffres, et de la pertinence des politiques. La première série de CND a été réalisée en raison des exigences de l’accord de Paris. Mais maintenant, nous comprenons mieux ce que sont les CND. Le deuxième cycle de CND est donc une occasion unique pour les pays africains de réviser et d’actualiser leurs informations.

Par exemple, il n’y avait pas beaucoup d’informations sur l’adaptation lors du premier cycle parce que nous en avions peu à l’époque, et nous n’étions pas sûrs de devoir les inclure. Ce nouveau cycle de CND nous permettra de mettre plus d’informations sur les défis auxquels nous sommes confrontés, sur la santé, sur le genre et sur le coût de l’adaptation.

L’Afrique n’étant responsable que de 4 % des émissions mondiales, nos efforts ne doivent pas consister à arrêter le développement parce que nous devons réduire nos émissions. Il s’agit plutôt de maintenir de faibles niveaux d’émissions et de fournir davantage de détails sur les politiques.

Malgré les limites du premier cycle , avez-vous constaté des progrès de la part des pays africains ?

Nous avons de nombreux champions en Afrique. Le Rwanda est un très bon exemple. Je suis Gabonais, donc le Gabon est aussi un très bon exemple. Le Kenya est également un bon exemple. Par exemple, cette année, ils se sont engagés à planter 10 à 20 millions d’arbres. De plus, pour gérer la déforestation le Gabon interdit l’exportation de bois. Le Maroc est l’un des leaders en matière d’énergie solaire. Le changement climatique est une question de politique et quand vous avez un bon leader, il réussit toujours.

Les opérations commerciales dans la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) débuteront en janvier 2021. Sa mise en œuvre peut-elle également promouvoir l’accord de Paris ? Si oui, comment ? 

Actuellement, le développement est souvent lié à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Mais, d’un point de vue pratique, l’augmentation des échanges commerciaux intra-africains devrait permettre de réduire les émissions de gaz. Nous avons l’un des taux d’importation les plus élevés de produits en provenance de Chine et d’Europe. Les transports aériens et maritimes sont responsables de près de 20 % des émissions mondiales. Donc, en réduisant ces émissions liées aux importations de loin, nous devrions pouvoir diminuer les émissions. Avec la Zleca, il y aura certainement plus d’industries car nous devrons produire pour nous-mêmes, mais la diminution des importations en Afrique compensera.

En Afrique, le financement est une autre question dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Le financement fait-il encore partie des discussions ?

La question du financement pour l’Afrique est au cœur des négociations. Car, aujourd’hui, on nous demande d’utiliser des technologies plus coûteuses pour réduire les émissions. Nous avons déjà un taux de pauvreté élevé et il est évident que l’Afrique ne réussira pas à changer sa trajectoire d’émissions si on ne l’aide pas.

Cependant, nous ne voulons pas que l’aide climatique soit mélangée à l’aide publique au développement. L’argent consacré au climat doit être nouveau et en ajout. Nous avons beaucoup de soutien pour l’atténuation. Mais pour nous, en Afrique, l’adaptation est également importante, ce qui est l’un de nos principaux domaines d’intervention car nous sommes très touchés.

Vous savez, les trois quarts des grandes villes africaines se trouvent sur la côte (Maputo, Durban, Libreville, Abidjan) et l’un des plus grands risques est l’élévation du niveau de la mer. Nous devrons développer des infrastructures pour protéger nos côtes, nos populations, etc…. et cela signifie que le financement devrait venir de la communauté internationale.

Les donateurs veulent-ils aider ?

En ce qui concerne l’atténuation, oui. Toutes les technologies liées à l’atténuation proviennent des pays développés. Le financement de l’atténuation est lié à des modèles économiques qui sont souvent assez intéressants pour les pays africains, et il y a une certaine écoute car il y a des modèles économiques qui permettent une certaine rentabilité dans l’action climatique.

D’autre part, notre grand problème est l’adaptation, car les pays développés ne sont pas sensibles à nos arguments. Sur l’exemple de l’élévation du niveau de la mer, ils peuvent dire que l’érosion côtière n’est pas un problème d’adaptation au changement climatique mais un problème de développement économique. L’adaptation est très proche de la vie quotidienne, très proche de l’évolution des conditions de vie et il y a très peu de financement pour cela.

Quelle est votre vision de la réussite pour votre mandat de deux ans ?

Ma vision est en deux parties très simples : La première est de mettre l’Afrique au cœur des négociations. Nous représentons un quart des voix et nous sommes les plus vulnérables. Nous représentons la plus grande population active car la moitié du continent a moins de 25 ans. Nous serons donc les plus restreints par l’Accord de Paris car les pays développés sont déjà développés et devront simplement changer de technologies. Nous ne sommes pas encore développés, et on nous demande déjà de ne pas produire d’émissions. C’est pourquoi nous devons être écoutés pendant les négociations.

Le deuxième défi est de placer les négociations au cœur des priorités africaines car à la fin du mandat, à la fin de 2022, la CdP 27 doit être organisée en Afrique. L’organisation des CdP se fait à tour de rôle entre les différentes régions et continents dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la CdP 27 va être le tour de l’Afrique. Nous devons mobiliser les présidents et les premiers ministres africains pour que cette CdP soit véritablement une CdP africaine et que le climat fasse partie des priorités en termes de politiques et de développement économique. Ce sont ces deux questions qui régissent mon mandat.

Si vous aviez un message pour l’Afrique en général, pour les politiciens, pour les citoyens, quel serait-il ?

La COVID-19 nous montre que nous ne pouvons pas nous développer à l’infini sans prendre soin de la nature. Nous parlons beaucoup des origines de la COVID-19 comme pouvant être d’origine animale. Je pense que la COVID-19 nous envoie ce message que nous devons prendre en compte la nature et toutes les autres espèces qui vivent sur terre. C’est donc l’occasion pour nous de ne pas revenir au statu quo mais de changer la manière dont nous développons nos économies pour un développement durable, plus inclusif des autres espèces animales, plus inclusif de la nature et pour un monde qui soit 100% conforme à l’Accord de Paris.

Pour plus d’informations sur COVID-19, consultez le site https://www.un.org/fr/coronavirus

Afrique Renouveau

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