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« Le FNDC est le réceptacle des déceptions, des injustices, et des errements du régime Condé »

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Lamarana Petty Diallo fait partie de la crème de la diaspora guinéenne que rien ne peut détourner de l’engagement et du dévouement pour la mère-patrie devant le tribunal de l’opinion. Toujours alerte sur l’évolution de la situation guinéenne, il est disponible lorsqu’il est question de dire son mot sur les plateaux de France24, Africa24, le blog de Mediapart, ou bien encore aux micros des autres médias francophones de grande audience.

Ce professeur Hors-classe de Lettres-Histoire en France maintient ses manches retroussées, son verbe à même de percer l’abcès, sa plume acerbe, ses arguments tenaces, et son allure d’avocat-défenseur de l’alternance par la voie des urnes. Si fait qu’il jouit aujourd’hui d’une réputation d’acteur irréductible du maintien de la Guinée sur les rails de la démocratie recouvrée après des décennies d’errance autoritaire.

Le Populaire l’a rencontré pour vous. Bonne lecture ! 

Bonjour, Lamarana Petty Diallo.

Bonjour, Monsieur Diallo.

 Vous êtes parmi les auteurs les plus lus dans les médias, dont notre hebdomadaire, où vos articles paraissent quasiment tous les lundis. Cela n’empêche que l’on débute cette grande entrevue par demander au professeur de Lettres-Histoire que vous êtes de bien vouloir se présenter à nos lecteurs et parler de votre engagement pour la Guinée ?

Je suis, comme vous l’avez souligné, professeur de lettres-Histoire en France. Je rappelle, qu’après la fin de mon cursus universitaire à l’Ecole normale supérieure de Manéah (première promotion), j’ai été professeur de langue et littérature africaine et française au département des Sciences sociales à l’Université de Conakry dans les années 80-90. Ensuite, je suis parti en France poursuivre mes études postuniversitaires à Bordeaux 2 et Bordeaux 3. Diplômé en réforme de l’enseignement, titulaire de deux titres universitaires en Littérature française et comparée ; en Sciences de l’éducation dont un doctorat d’université à Bordeaux2, mention Sciences de l’éducation (mai 1991), j’enseigne depuis quelques décennies en France. Ayant gravi les échelons académiques, je suis actuellement professeur Hors-classe de Lettres-Histoire. Chose qui, je le dis très modestement, n’est pas aisée. Mais grâce à la bénédiction des parents et la baraka des origines, on arrive toujours. S’agissant de mon engagement pour la Guinée, je vous dirais tout simplement qu’il est impensable que je sois indifférent à la situation de mon pays.  Nous devons tous contribuer à son évolution socio-politique.

 Vous avez des obligations académiques, ici en France, mais cela ne vous empêche pas d’être actif sur tous les terrains de la promotion des valeurs et des principes de la démocratie dans votre pays. Dites-nous comment parvenez -vous à concilier les deux tâches ?

Je trouve toujours du temps pour mon pays. Quitte à passer des nuits blanches. Et cela arrive très fréquemment. C’est le moment de manifester une fois de plus ma gratitude à ma femme et à mes enfants qui m’ont toujours soutenu et compris le sens de mon engagement. Vous savez, il n’est pas facile d’avoir un mari, un compagnon, qui cherche toujours des solutions dans les livres et toujours préoccupé par des questions politiques. 

Un mari engagé et qui publie régulièrement dans les médias et réseaux sociaux.

Exactement.

Cet engagement remonte à quelques décennies. C’est bien cela ?

Bien sûr que oui ! Je ne dirais pas que j’ai 40 ans de combat comme d’autres qui croient encore que combattre sa population est le meilleur moyen d’exister. (Rire). Moi, je combats par la plume quand d’autres poussent à la violence ou appuient sur la gâchette pour tuer leurs compatriotes. J’ai toujours été dans les médias : Rédacteur en chef du site Internet kibarou.com avant que je m’en éloigne en raison d’une opposition idéologique avec son administrateur de l’époque. Ensuite, j’ai occupé le même poste à guineeactu.com. J’ai été, durant des années, un correspondant d’aminata.com; guinepresseinfo; jacquesro-gershow ; guinea forum (USA) et beaucoup d’autres sites Internet. Je puis vous dire que j’ai publié des centaines d’articles dans les sites Internet ces deux dernières décennies. Je publie également dans la presse écrite. Votre journal, comme vous l’avez dit, est l’un de mes plus fidèles éditeurs. Je vous en remercie. J’interviens également,  autant que possible, dans les autres médias francophones de bonne audience. 

Quels objectifs vous fixez-vous en collaborant avec autant de médias ?

Mon objectif principal se résume en une phrase : contribuer par la plume à l’émancipation démocratique de notre pays. Pour ce faire, j’essaie de mettre en avant la Guinée qui a encore une audience très limitée dans les médias internationaux. Je veille toujours à montrer le côté positif de notre pays quoi qu’il ne soit pas facile, car d’Afrique, on ne parle que des échecs. Le peu d’acquis que nous avons est souvent négligé dans la mesure où les systèmes politiques guinéens montrent plus de mauvaises facettes qu’autre chose. Expliquer, à travers une approche pédagogique et réaliste les raisons de nos échecs malgré notre long cheminement historique. N’oublions pas que la Guinée a ouvert la voie de l’indépendance à l’Afrique Noire. Et bien au-delà. Celui qui ne comprend pas cela, aura du mal à conjuguer le même verbe que les Guinéens.  Les errements qui ont suivi l’indépendance n’ont pas abîmé ce que les autres Africains appellent la fierté du Guinéen. Une fierté bien ancrée dans notre conscience collective et qui ne date pas de 1958. Faut-il rappeler que nous avons le plus grand nombre de résistants à la colonisation par rapports aux autres pays. Je veux rendre, tant soit peu, les dettes que je dois à mon pays qui m’a éduqué et m’a formé. J’ai l’habitude de dire aux jeunes guinéens qui arrivent en France, qui sont dans mes classes où qui viennent à la maison : Attention, les gars, on ne descend pas de Roissy Charles De Gaulle pour aller enseigner le français aux Français !. Il faut transpirer intellectuellement et physiquement.  Et ça marche !, parole de doyen, comme ils m’appellent. (Rire). Je cherche à m’adresser à la classe politique guinéenne en lui rappelant que le plus grand mal qui ronge notre pays, c’est l’ethnocentrisme. C’est un vrai cancer social dont nous devons nous débarrasser pour que la Guinée soit réellement une nation. Enfin, j’essaie de montrer que, contrairement à ce qu’on dit trop facilement, toute l’élite guinéenne n’est ni démissionnaire ni coupable. Il y en a qui sont engagés, dévoués, prêts à tout pour servir le pays. Malheureusement, on voit tellement de cadres corrompus chez nous qu’on met tous ceux qui écrivent de gauche à droite dans le même panier.

 

Justement, pourquoi, d’après vous, les préjugés sur la démission des cadres persiste-t-ils ? Pourriez-vous donner quelques exemples ?

Les raisons tout comme les facteurs de la persistance de préjugés sur l’élite sont nombreux. On ne saurait tous les aborder. Je dirais tout simplement que toute l’élite guinéenne : cadres, hommes d’affaires, personnalités politiques et, parfois morales, ont leur part dans la situation passée et actuelle du pays. Bon nombre d’entre-nous ont plus de facilité à tendre la main que s’investir dignement et honnêtement. Dès que certains des nôtres ont un bureau, une voiture climatisée, une caisse de l’Etat à vider tous les soirs pour empocher le contenu, ils oublient leurs arrières ; hypothèquent leur honneur. Ils se pervertissent par l’argent et dans le luxe. Se pavaner dans leur voiture, pompeusement appelées VA, les préoccupe plus que le service public et l’éthique qui s’y attache. La promotion de la médiocrité renforce le sentiment de la démission de l’élite. De ce fait, du laissez aller, des inégalités, du clientélisme, etc. Nous sommes l’un des rares pays au monde où tu dors caporal pour te réveiller capitaine. De capitaine, tu atterris parmi les hauts gradés sans que toi-même tu ne saches comment. On a même des généraux dans la police. Chose qui n’existe nulle part ailleurs. En outre, avant, tu échouais à l’école, les parents t’envoient dans l’armée. Aujourd’hui, tu échoues dans la vie, tu te lances en politique. Tu es monsieur jusqu’à ta nomination, le lendemain tu es docteur. Si ce n’est professeur. En Guinée, une promotion équivaut à un titre académique. C’est cette culture de la médiocrité qui corrompt les mentalités. Pays des docteurs, des professeurs et des plus hauts gradés, nous ne sommes ni parmi les mieux portants sur le plan sanitaire ni parmi les plus en sécurité. La preuve, nos forces de défense et de sécurité nous tuent plus que ne le ferait l’ange de la mort lui-même. C’est l’un de nos paradoxes. Enfin, notre pays est tellement érodé par l’ethnocentrisme et d’autres maux que le patronyme de celui qui écrit suffit à vous classer, vous étiqueter. On vous définit par votre origine et non par vos idées. Il me revient en mémoire, un article de mon frère Tierno Monénembo « Et maintenant … » durant la période de la transition.  Il a failli être passé sur le bûcher par certains qui, j’en suis persuadé, n’ont même pas lu ce texte presque prophétique.

 

Les derniers développements de l’actualité sociopolitique de notre pays vous donnent-ils des raisons d’espérer ?

Un peuple qui n’espère pas est un peuple mort. Je vous dis, il n’y a pas plus optimiste que le Guinéen. Malheureusement, celles et ceux qui ont confondu optimisme et opportunisme ont sapé l’avenir de notre pays. Ils sont en train de le tuer. Comment voulez-vous que des jeunes qui ont terminé leurs études, ont acquis leur diplôme et qui passent 5, 10 ans, voire plus, à chasser les mouches dehors ; à se disputer les poubelles aux animaux domestiques, aient confiance à leurs aînés ? Comment voulez-vous que ces générations qui accumulent chômage sur chômage, travail intérimaire et stages sans lendemain croient en leur société, en leurs dirigeants politiques ? Confrontée à la misère criarde et au luxe insolent de tel ou tel directeur de département, aux voitures rutilantes de nos ministres, parfois des députés ; face à la richesse subite d’un caporal du quartier, devenu officier supérieur en un laps de temps, la jeunesse n’a de choix que de se révolter. Autant elle est confrontée à la misère, autant elle voit l’ascension fulgurante des voyous d’hier. Parfois, celles et ceux-là même qui les poussaient naguère contre le pouvoir actuel dont ils sont devenus les ardents défenseurs. La crise que nous vivons est née de cette injustice sociale et de la corruption généralisée du système. Nous avons à faire à un conflit trans-générationnel dont la solution réside dans le changement total de mode de gouvernance.

 

Lors de vos passages sur les télévisions francophones, vous souligniez l’importance pour l’opposition de mener des actions concertées sur le terrain. Estimez-vous avoir été compris, puisque quelques mois après l’on a vu émerger le FNDC ? Ou bien ce n’est pas lié ? 

Je dirais, très modestement, que certaines de mes préconisations sont prises en compte. En effet, bien d’acteurs politiques savent que je n’ai aucune posture sectaire. Lorsque j’écris ou m’exprime dans les médias, je le fais sans langue de bois et en toute objectivité. Ce n’est d’ailleurs pas, semble-t-il, la meilleure manière de se faire des amis. Mais je m’inscris en porte-à-faux à ceux qui affirment que plus le mensonge est grand, plus les Guinéens y croient.

C’est à force de mentir au peuple que les hommes politiques de notre pays ont déçu. En nous prenant pour des crédules, ils ont tout faussé et éveillé le sentiment le plus ancré en nous : l’honnêteté. Je sais que le plus simple, c’est de dire «tous pourris», mais moi je ne le perçois pas ainsi. Il y a bel et bien des honnêtes gens chez nous : y compris en politique, comme on le disait au dix-septième siècle français. Cependant, faudrait-il qu’ils aient voix au chapitre. Malheureusement, en Guinée, plus tu verses dans la médiocrité, plus tu es enclin au larbinisme et aux éloges des chefs du moment, plus tu escalades l’ascenseur social. Chez nous, la meilleure manière de réussir, c’est d’être médiocre et sans vergogne. Je m’excuse auprès de celles et ceux qui réussissent à la sueur du front ou des méninges. Comment voulez-vous que quelqu’un qui n’a de capacité que pour faire «le griottisme» ; qui se renie au moindre grincement d’un billet de banque, fasse avancer un pays ?

Quelle vision avez-vous du combat du Fndc au sein duquel vos prises de position sont parmi les plus connues. En témoigne votre sortie au Trocadéro qui a fait le buzz dans les médias…

Avant tout, beaucoup de nos compatriotes se demandent comment en sommes-nous arrivés au Front national de défense de la constitution (Fndc) ? Un simple regard socio-historique pour l’expliquer. Le Fndc est le fruit de ce que je viens d’avancer : la mal gouvernance, la gabegie, la corruption généralisée etc., qui rongent la Guinée depuis des décennies à cause de pouvoirs autocratiques. Le Fndc est le réceptacle des déceptions, des échecs, des injustices, des abus, des mensonges, des errements, etc. accumulés ces dernières décennies. Son avènement est intervenu à point nommé. C’est pour cela qu’il mutualise autant d’espoirs. La force du Fndc réside à son avènement au moment où les Guinéens voulaient mutualiser, au-delà des partis politiques traditionnels, leurs efforts. Le mouvement en tire non seulement sa légitimité mais aussi sa vitalité. C’est l’autre force du Fndc : transcender les partis politiques, les appartenances communautaires, les confessions de toutes sortes. Il a réussi, historiquement comme le firent les Forces vives sous la transition militaire en affichant plus la couleur nationale, patriotique que politique. Le contraire aurait été fatal face à la toute-puissance du pouvoir tant sur les plans financier, politique, sécuritaire. Attention cependant. La faiblesse du Fndc est également à ce niveau : dans cette concomitance de désirs de changement et d’affirmation civique.  Il doit pouvoir canaliser et réaliser sans perdre trop de temps. Les Guinéens ont trop attendu, trop souffert, beaucoup espéré pour accepter les désillusions encore. Il ne faudrait pas que la stratégie du Fndc, quelque peu lente, du fait de la réalité d’en face, se heurte à l’impatience du peuple. Autrement dit, si la patience ou les attentes devraient perdurer le Fndc risque d’être débordé. C’est l’une des raisons pour lesquelles je dirais que le Fndc doit encore être plus pragmatique. Il n’a pas trop intérêt à se montrer enclin à la négociation avec un système qui, pour la plupart de nos compatriotes, n’existe plus. A mon avis, nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir encore canaliser les ardeurs des citoyens en empêchant que la volonté d’en découdre ne l’emporte sur la tolérance. Autant dire que le Fndc ne devrait pas perdre de vue que la vague rouge-bordeaux qui le symbolise pourrait aussi bien prendre le dessus sur lui en tant que mouvement que sur le pouvoir. Une seule solution pour l’éviter : accélérer le processus devant conduire à la satisfaction des réclamations légitimes de la majorité des guinéens. Nous avons appelé depuis un moment, nous de l’extérieur, le Fndc à demander la fin pure et simple du système actuel. Le président Condé ayant trahi son serment, il ne peut plus incarner l’honneur de la fonction de premier magistrat du pays. Un homme qui n’a plus aucune probité morale en commettant un parjure n’est plus digne de quoi que ce soit. Pour toutes ces raisons, confiant aux objectifs du Fndc, nous organisons des manifestations dans toutes les villes du monde où il y a une communauté guinéenne. C’est le cas en France où j’ai prononcé le fameux appel dont il est question en insistant sur la lassitude des Guinéens. Nos actions se poursuivent.

Vous avez l’intime conviction que la Guinée ne pas fera l’économie d’une alternance politique ?

L’alternance est incontournable, inévitable et reste l’unique solution. Ceux qui pensent que la Guinée fera l’économie d’une alternance politique se trompent lourdement.  Au Fndc, je redis ce que j’ai toujours soutenu. Il doit prendre tant la mesure des enjeux que des solutions en intégrant la dimension temps et les limites de la patience : ce dernier est un facteur à double tranchant et il ne faudrait pas que sa lame se retourne contre lui.

 

Nous terminons cette première partie de notre entrevue à quelques heures de la célébration de la journée internationale des femmes.

Je dis ouvertement que l’un des drames de notre pays, c’est la minimisation de la place de la femme. Je n’en dirais pas plus, espérant que les sous-entendus sont plus parlants. Que nous aborderons le sujet dans la seconde partie. Enfin, je souhaite vivement que le sang et les larmes des Guinéennes et des Guinéens cessent de couler. Que notre pays recouvre la paix et que chaque Guinéenne et chaque Guinéen tende la main à l’autre pour se saluer dans toutes les langues du pays.

 

Lamarana Petty Diallo, merci.

C’est moi qui vous remercie.

Réalisée par 

Diallo Alpha Abdoulaye

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