Candidature générale, une mission juridiquement impossible
A trois mois de la fin officielle d’une transition dont la durée optimale a été fixée par l’organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays, le débat sur la possibilité de prolonger le bail de « faire l’amour à laGuinè » fait rage.
Deux camps s’affrontent à coups de rhétoriques et de dispositions tirées de la charte de la transition.
Une charte qui, rappelons-le, a été élaborée par le CNRD avant d’être paraphée puis signée par son président.
Et ce n’est pas tout. Le président du CNRD qui est aussi le président de la transition a prêté serment lors d’une cérémonie solennelle en ces termes : « Moi ………….., Président de la Transition, je jure devant le peuple de Guinée de préserver en toute loyauté la souveraineté nationale, de respecter et de faire respecter les dispositions de la Charte de la Transition, …. ».
On serait tenté de dire : ça tombe bien. Le président a juré de respecter et de faire respecter la charte. Et, Dieu soit loué, les deux champs sont d’accord sur un point. La charte est la source de loi qui règle la question de la candidature du président de la transition.
Mais il y a un problème. Il est difficile d’imaginer une loi qui autorise une chose et son contraire. Pour les départager une analyse approfondie des arguments qui sont brandis par les deux camps s’impose.
Faisons cette analyse ensemble.
Rien ne s’oppose à la candidature du Général.
Le camp en faveur de la candidature du président de la transition semble avoir passé en revue plusieurs solutions permettant de contourner les dispositions de l’article quarante-six de la charte de la transition. Ce satané article, proposé sans doute par une personne sous dopamine et qui interdit toute candidature d’un membre du CNRD à une élection nationale ou locale, est devenu un véritable casse-tête pour le camp présidentiel.
Après quelques mois de recherche de solutions ils ont lancé un premier ballon d’essai. Le raisonnement qui est fait est basique. Le président démissionne du CNRD et la présidence de la République après avoir trouvé son Dimitri Medvedev. Une fois qu’il aura démissionné il ne sera plus concerné par l’article quarante six qui ne vise que les membres du CNRD.
Cette idée qui semble séduisante de prime abord est en réalité compliquée à mettre en œuvre et ce pour plusieurs raisons.
Les différentes expériences en terre africaine ont montré qu’il était hasardeux voire dangereux de jouer à la Poutine-Medvedev-Poutine.
Du fond de sa cellule l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz doit à l’heure se morfondre au fond de sa cellule en pensant à sa bêtise monumentale. Celle d’avoir confié les rênes du pays à Mohamed Ould Ghazouani qui fut l’un de ses plus fidèles compagnons. Ghazouani qui sait que son ancien patron avait fomenté un coup d’état contre le président qu’il était censé sécuriser s’est dit qu’il ne pouvait pas le laisser en liberté. Une fois au pouvoir il met un rouleau compresseur politique en mouvement et envoie son ancien patron dans une cellule VIP illico presto.
L’ancien colonel qui était chargé de la première ceinture de sécurité visant à renforcer la sécurité du président Alpha sait mieux que quiconque qu’il est imprudent de faire confiance à un Guinéen. C’est donc logiquement que cette solution ne fut pas long feu. Trop risquée en effet.
Cherchez, et vous trouverez dit l’évangile selon Mathieu. A force de chercher ils ont fini par trouver une nouvelle solution.
Là encore le raisonnement est simple.
Certes l’article quarante-six interdit au président de faire acte de candidature à l’issue de la transition. Cependant l’article soixante-dix-huit rend la charte caduque après le référendum constitutionnel. Une fois la nouvelle Constitution adoptée plus rien ne s’opposera à la candidature du président.
Pour préparer les esprits à cette candidature on envoie les artistes en première ligne. Ces derniers rivalisent pour trouver le meilleur tube « il ne partira pas, il va rester ». Les « intellectuels » enfument ensuite le peuple avec des histoires à dormir debout. Tenez-vous bien, ces « intellectuels » qui disaient en 2020 qu’il n’y avait pas d’homme providentiel, que personne n’était indispensable et que les cimetières étaient remplis d’indispensables ont retourné leurs vestes et revu leurs discours. Désormais seul le président de l’actuel transition peut faire le travail. Lui seul peut mettre le pays sur les rails. Personne d’autre ne peut le faire. En d’autres termes ils sont passé de « il n’y a pas d’homme providentiel » à « le président de la transition est notre homme providentiel ». On nous opposera, peut-être, la diction « tout change, tout évolue ». Avec des billets de banque l’évolue du discours est facile en effet.
Les artistes et les intellectuels sont suivis par les paroliers du régime. Ils constituent le premier niveau de la stratégie de communication à plusieurs niveaux mise en place pour les besoins de la cause. Cette stratégie de communication permet à un chef d’envoyer ses lieutenants dire ce que lui pense mais ne peut pas dire. Il ne peut pas le dire car il sait que ça risque d’être mal perçu. Alors le lieutenant va s’en charger. Si ça se passe mal le chef intervient et dit qu’il n’est pas d’accord. Que de tels propos sont inacceptables. Dans le cas contraire il s’approprie le discours.
Parmi les porte-paroles figure le premier ministre chef du gouvernement de transition. Ce dernier qui a mis ses relations amicales et familiales en stand-by pour servir la transition nous dit que sur le plan juridique rien ne peut empêcher le président de la transition de faire acte de candidature.
Le premier ministre et ses collaborateurs qui viennent de découvrir quelques principes du droit nous apprennent que la loi est impersonnelle. Et que de ce fait elle ne peut pas écarter la candidature du président de la transition.
Les récents discours de Bah Oury ont surpris plus d’un. L’homme qui fut l’organisateur en chef d’une manifestation – réprimée dans le sang – pour dire non à la candidature d’un président de transition se retrouve en première pour faire élire un président de transition. Ce monsieur n’a pas seulement mis ses relations amicales et familiales en stand-by. Ses convictions politiques sont mises en veille jusqu’à nouvel ordre.
Une candidature pas si évidente.
Ceux qui soutiennent qu’il n’y a aucun obstacle juridique à la candidature de l’actuel président ont oublié un élément important en matière de loi. Une loi se lit en entier pas en partie.
Notons, pour sa décharge, que Bah Oury a étudié les mathématiques avant de revenir au bercail et donner des cours sur le taux change puis de rejoindre professeur Alfa Ibrahima Sow (paix à son âme) à l’UFD. Il a fait un bout de chemin avec ce dernier avant de claquer la porte de l’UFD et de créer…vous êtes bien assis ? L’UFD…G. Bah Oury est la créativité c’est comme le jour et la nuit.
Revenons à nos moutons et éclairons l’opinion publique.
Lors que le président nommé du CNT déclare, je cite – « Il ne revient pas à la constitution de rentrer dans les spécificités ou d’établir une liste ou une catégorisation de personnes qui peuvent être candidates ou pas. Dans aucun pays du monde la constitution n’a établi la liste des personnes qui peuvent être candidats et ceux qui ne peuvent pas l’être » – fin de citation, il dit tout sauf la vérité.
Dansa Kourouma qui n’est pas si jeune que ça je sais sans doute que lors de la présidentielle de décembre 1993, feu général Conté (paix à son âme) avait été contraint de démissionner de l’armée pour pouvoir faire acte de candidature.
S’il est toujours convaincu que son affirmation ne peut pas être démentie nous l’invitons à une lecture attentive de l’article L 130 de la loi organique L/91/1012 du 23/12/1991 portant code électoral en République de Guinée qui dispose : sont inéligibles les militaires et paramilitaires de tous grades ainsi que les magistrats des cours et tribunaux en position de service.
Pour éviter d’éventuelles réflexions du genre « il a parlé de constitution pas de loi organique » nous nous donnons la peine de préciser qu’une loi organique fait partie de la constitution.
Aussi nous précisons que la charte de la transition est la constitution du pays durant la période de transition. Une charte qui établit la liste des personnes qui peuvent être candidates et celles qui ne peuvent pas l’être.
Les autres arguments avancés sont tirés par les cheveux.
Certes ils ont évité de reproduire les dispositions interdisant la candidature du Président.
Certes l’article soixante-dix-huit permet de faire fi de la charte et de toutes ses dispositions.
Précisions qu’on n’avait même pas besoin de l’article soixante-dix-huit pour obtenir ce résultat. Toute nouvelle loi abroge automatiquement l’ancienne loi. C’est le b.a.-ba. Exceptée la méconnaissance des règles élémentaires du droit pas grand-chose ne justifie la présence d’une telle disposition dans la charte de la transition. Ils diront peut-être que la répétition est pédagogique. Soit. L’amateurisme lui ne l’est pas.
Certes le président de la transition semble remplir les conditions requises par la nouvelle constitution pour pouvoir faire acte de candidature. Honnêtement c’est le contraire qui aurait créé la sidération.
Mais, car il y a un mais, le président a juré de respecter et faire respecter la charte de la transition. Charte qui, rappelons-le, encore une fois, interdit toute candidature du président à l’issue de la transition.
Ce serment l’engage même si la charte n’est plus en vigueur car il va au-delà de la charte.
Tout le monde savait dès le départ que la charte ne serait plus en vigueur au moment de l’élection présidentielle.
Ceux qui n’avaient pas bien compris les choses avaient été éclairés par les précisions apportées par le Ministre en charge des élections. Ce dernier avait déclaré en 2022 ce qui suit : « la remise du pouvoir aux civils élus doit être précédée du recensement général de la population, du recensement administratif à vocation d’état-civil, de l’établissement du fichier électoral, l’élaboration de la nouvelle Constitution, l’organisation du scrutin référendaire, l’élaboration des textes de lois organiques, avant l’organisation des élections locales, puis législatives, la mise en place des institutions nationales issues de la nouvelle Constitution et enfin l’organisation de l’élection présidentielle ».
Dans sa déclaration le Ministre, sans doute inspiré par le discours présidentiel, écartait déjà la possibilité d’une candidature militaire. Le président étant un militaire nous pensons que les choses sont claires comme l’eau de roche.
Le président en personne s’était prononcé face caméra et avait eu l’occasion de repréciser sa pensée. A chaque occasion il avait répété la même chose : ni moi, ni un membre du CNRD ne sera candidat à quoique ce soit.
S’il est vrai qu’il n’a pas encore officiellement annoncé son intention de faire acte de candidature il est aussi vrai qu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour respecter les termes de sa prestation de serment.
Il s’était engagé à respecter et faire respecter toutes les dispositions de la charte de la transition. Dans ces conditions il ne devrait pas laisser prospérer les discours l’invitant à faire acte de candidature.
SaMa KABA