Toutes les infos en direct sur la Guinée

Chronique de la transition : « la grande vadrouille »

0

Le présent numéro s’étale sur les deux dernières semaines d’une transition qui n’a en réalité pas encore connu son point de départ, tellement le pays a appris à faire avec le quoiqu’il arrive.

Dans le précédent numéro, nous avions évoqué l’ultimatum, sinon le temps imparti par la CEDEAO aux autorités de la transition de lui proposer, à l’issue d’un dialogue animé par son médiateur Thomas Yayi Boni, une durée de transition qui soit raisonnable et acceptable. Concrètement, cela voudrait dire une transition de moins des 36 mois précédemment proposés par le CNRD.

On ne peut dire que la visite à Conakry du médiateur de la CEDEAO, Thomas Yayi Boni, ait été couronnée d’un grand succès, faute d’avoir rencontré la classe politique et les représentants des organisations de la société civile, tout comme l’accueil glacial qui lui avait été réservé par les autorités de la transition.

Les commentateurs de la vie politique guinéenne, dans leur grande majorité, sont d’avis que le rapport de force est plus favorable au Colonel Mamadi Doumbouya qu’à une CEDEAO en manque d’inspiration.

Parlant de durée de la transition guinéenne, l’heure est plutôt à la discorde diplomatique entre Umaro Sissoko Emballo, chef d’Etat de Guinée-Bissau et Président en exercice de la Commission de la CEDEAO, et le colonel Mamadi Doumbouya, Président de la Transition guinéenne. En effet, alors que le premier avait affirmé, le 28 juillet dernier, avoir trouvé un accord avec la junte militaire pour une durée de transition de deux ans, le Colonel qui n’a que moyennement apprécié cette sortie peu diplomatique, a indiqué la semaine dernière qu’aucun rythme ne sera imposé à la Guinée.

En dépit de la maladresse incontestable de Umaro Sissoko Emballo, le président de la transition guinéenne semble résolu à entretenir un bras de fer avec l’institution sous-régionale. Au regard de son ire, comment entrevoir la cohérence de son attitude en total décalage avec son acceptation d’un médiateur censé œuvrer à une durée consensuelle de la transition de moins de 36 mois ?

Le récent rapprochement de la junte guinéenne avec celle du Mali dans un obscur élan de fédération témoigne de la volonté d’obstruction du colonel. Il semble oublier que la même attitude adoptée par son homologue Assimi Goïta, avait valu au Mali de faire face à des sanctions économiques drastiques.

Sur le plan interne, l’heure était à la manifestation du FNDC telle que projetée pour la journée du 28 juillet 2022, mais restée interdite conformément au communiqué du CNRD relatif à l’interdiction des manifestations sur toute l’étendue du territoire national. Les communes de la capitale concernées par l’itinéraire de la manifestation, avaient-elles aussi rejeté le préavis de manifestation sur leurs territoires. L’un des enjeux de cette journée de manifestation était de savoir si le FNDC et ses alliés pouvaient encore avoir un pouvoir de mobilisation des grands jours comme au plus fort de son combat contre le pouvoir Alpha Condé.

Le FNDC avait annoncé qu’en cas de maintien de l’interdiction de la manifestation ou plutôt de la marche allant du point de ralliement de la Tannerie (commune de Matoto) avec pour destination l’esplanade du Palais du peuple (Kaloum), il déploierait son plan B. qui consistait en l’organisation de « manifestations éclatées » : chacun manifeste dans son quartier. Fort, malheureusement, c’est le plan B qui l’a emporté sur « la manifestation » pacifique annoncée par le CNRD. Ainsi, dès le soir du 27 juillet, des pickups des Forces de Défense et de Sécurité ont quadrillé l’Axe Bambeto-Cosa-Hamdallaye, faisant déclencher prématurément le face à face redouté avec les jeunes de la localité.

La journée du 28 juillet 2022 n’avait donc été que le prolongement des heurts de la veille avec les forces de l’ordre dans un déluge de violence rarement égalé. En effet, à la stratégie de quadrillage préventif des quartiers de l’Axe par les FDS, des jeunes de l’Axe ont opposé une résistance tout aussi déterminée.

Bilan de cette journée : des pertes en vies humaines, des dégâts matériels importants, de nombreux blessés de part et d’autre, ainsi que des arrestations. Quant à savoir si le FNDC pu faire carton plein, la réponse est à nuancer. En effet, l’interdiction de la manifestation et la volonté manifeste des autorités de l’empêcher à travers l’occupation par les forces de sécurité des différents points de rassemblements, ne permit nullement au Front d’atteindre son objectif du jour.

La tension dans les quartiers de l’Axe était telle que face au débordement des FDS, le Ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (MATD) a requestionné l’armée qui s’est mêlée à la danse ajoutant ainsi de la confusion à l’ouvrage.

Le cocktail Armée et FDS lancé dans des opérations de ratissage dans les quartiers de l’Axe ont malheureusement donné lieu à des scènes de désolation dont l’incendie par les manifestants de plusieurs pickups des FDS et l’arrestation de dizaines de jeunes dont des mineurs qui auraient été conduits au camp Alpha Yaya. Selon certains témoins, les personnes arrêtées et envoyées dans le camp ont fait l’objet de bastonnades et de traitements traumatisants, histoire de leur briser le moral, avant d’être conduites dans les commissariats.

Les mauvaises habitudes ayant la peau dure, le CNRD a renoué avec les démons d’un passé récent du pays. C’est le cas de l’arrestation musclée de Foniké Menguè, tard la nuit du 28 au 29 juillet 2022, par des « paramilitaires ».

Dès le lendemain, Ibrahima Diallo, responsable des opérations au FNDC, et Saikou Yaya Barry, secrétaire général de l’UFR de Sydia Touré, tour à tour arrêtés et placés sous mandat de dépôt à la maison Centrale de Coronthie. Ils sont accusés entre autres choses d’attroupements interdits, d’incendie volontaires, d’association de malfaiteurs et de destructions de biens publics et privés.

On notera que malgré les arrestations musclées et la poursuite du ratissage dans les quartiers les jours suivants la manifestation du 28 juillet, le FNDC a accepté la demande de la CEDEAO d’observer une trêve le temps d’espérer tisser les liens du dialogue. Ainsi, la manifestation prévue le 4 août 2022 a été purement et simplement annulée.

L’une des grandes nouveautés sur le front des manifestations sous le CNRD, fut notamment l’apparition de contre-manifestants venus d’autres quartiers de la capitale pour contrer les élans de ceux de l’Axe avec la supervision ou la bienveillance des FDS. Ces allégations n’ont pas été formellement confirmées, bien que des vidéos publiées sur les réseaux sociaux semblent les accréditer.

Le CNRD appuyé par les autorités judiciaires du pays et le ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright, a pointé un doigt accusateur sur la présence massive de mineurs dans les manifestations du FNDC. Ils invoquent presque en chœur les droits fondamentaux des enfants et l’obligation de leurs parents de les protéger conformément aux instruments internationaux qui consacrent le droit des enfants. Les droits fondamentaux des enfants s’entendent notamment dans leurs rapports avec l’Etat pris comme débiteur des obligations de protection à leurs égards.

Dans tous les cas, le CNRD n’entend pas se laisser submerger par la communication du FNDC sur le théâtre de la crise politique. De fait, il prend les devants et privilégie l’offensive en occupant constamment le terrain médiatique au gré de ses intérêts.

Notons toutefois l’absence de réaction rapide officielle et effective de la part des autorités en rapport avec les cas de tués lors des heurts du 28 juillet 2022. Ce contrairement au traitement réservé au premier dossier du premier tué sous l’ère CNRD, avec l’engagement ferme et suivi d’effet du procureur général d’alors, Alphonse Charles Wright. Rien de tel n’a semblé se dégager dans le chef des autorités judiciaires. Les poursuites contre les organisateurs des manifestations et de certains manifestants animent encore, quant à elles, l’actualité judiciaire.

Chose curieuse, les partis politiques ne sont pas cités au premier plan des événements du 28 juillet, bien qu’ils eussent par ailleurs annoncé répondre favorablement à l’appel à manifester du FNDC. D’ailleurs, l’Axe, supposé fief de l’UFDG, semble avoir été la seule ou la principale zone de Conakry à avoir bravé l’interdiction de manifester en répondant massivement au mot d’ordre du FNDC. De ce point de vue, il aurait été bien intéressant de voir ce que pèse le FNDC en 2022 au-delà de l’Axe, évidemment, si la manifestation avait été autorisée.

Les pratiques du passé ont été remises au goût du jour avec l’occupation, dès le lendemain de la manifestation du 28 juillet, des sièges des principaux partis politiques dits d’opposition dont l’UFDG, le RPG et l’UFR. Ce qui nous fait dire que le CNRD n’a plus grand-chose à envier au RPG Arc-en-Ciel pour avoir repris ses pratiques les plus décriées du point de vue des libertés fondamentales.

Comme réaction à la série d’arrestations et de ce qu’il qualifie de « kidnapping » orchestré dans les quartiers hostiles à la junte, le FNDC par la voix de Sekou Koundouno, a adressé une liste de responsables de la répression à la Cour Pénale Internationale. Il s’agit notamment du Président de la transition, du Ministre secrétaire général à la présidence, des Ministres de l’administration du territoire et de la décentralisation ainsi que du ministre de la Justice.

Une démarche qui a visiblement provoqué le courroux d’Alphonse Charles Wright, ministre de la Justice, le poussant sans doute, à instruire au procureur général d’engager une poursuite judiciaire à l’encontre du FNDC représenté par Sekou Koundouno, coupable selon lui de « diffamation et de divulgation de fausses informations de nature à porter atteinte à la paix et à la sécurité publique et complicité de meurtre par instigation ».

Onze mois après la prise du pouvoir et l’annonce d’une transition inclusive, apaisée et synonyme de nouveau départ pour le pays, l’heure est aux interrogations légitimes, faute de réelle volonté de la part du CRND de s’engager dans une dynamique de dialogue et de restauration de la confiance entre les acteurs pour mener le navire Guinée à bon port. Ce n’est ni avec la victoire du FNDC sur le CNRD, ni avec celle du CNRD sur une partie de la classe politique que la Guinée s’affranchira des démons du passé.

Mardi 10 août 2022

Par Titi Sidibé et Mory Mohamed Camara

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que cela vous convient, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite

Politique de confidentialité et de cookies
Partager