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Chronique de la transition : le mur des lamentations

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Le bras de fer engagé entre le CNRD et le FNDC a dominé l’actualité politique nationale de ces deux dernières semaines. La rumeur d’un projet de dissolution du FNDC par le CNRD, relayée sur les réseaux sociaux, n’était finalement pas une simple rumeur. Le couperet est tombé au soir du mardi 9 août 2022 par un arrêté du Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, M. Mory Condé.

Considéré par le CNRD, aux premières heures de sa prise de pouvoir, comme un interlocuteur privilégié du processus de transition, le FNDC n’est plus en odeur de sainteté avec « les libérateurs ». Ils l’ont qualifié, dans l’arrêté ministériel, de « groupement » dont « le mode opératoire se structure par des actions violentes au cours de manifestations interdites, des attaques contre les individus qui ne partagent pas leur idéologie, et des actions ciblées contre les forces de l’ordre ».

Sans épiloguer davantage sur la légalité de l’arrêté litigieux, d’éminents juristes ont considéré que les motifs de l’arrêté sont plus cohérents avec une décision d’interdiction qu’avec celle de la dissolution qui est incontestablement sans fondement juridique valide.

De même, des interrogations légitimes ont fait jour dans l’opinion quant à la pertinence juridique de l’arrêté ministériel portant dissolution d’une organisation qualifiée de « groupement de fait » dans le texte, ce en se référant à la Loi du 04 juillet 2005 fixant le régime des associations en République de Guinée ». Aussi, il a ensuite été question de l’opportunité même de la mesure eu égard aux premières déclarations du CNRD de rassembler les Guinéens, sans exclusion, dans un processus de transition paisible et dans l’intérêt de tous. Ainsi, il est inenvisageable que la décision du CNRD d’éliminer un interlocuteur, même peu commode, puisse contribuer à apaiser l’atmosphère d’un processus de transition bancal.

Suite à cette décision controversée, le FNDC a bénéficié d’un large soutien tant au niveau national que sous-régional, de partis politiques et de mouvements de la société civile tels que « Y en a Marre » du Sénégal, « Les balais Citoyens » du Burkina Faso. Au niveau interne, il faut surtout retenir le soutien sans ambiguïté de l’ANAD (Alliance Pour l’Alternance Démocratique) au FNDC dans le bras de fer qui l’oppose au CNRD dont l’objectif est, selon le communiqué, « d’éteindre toute résistance à la dictature en étranglant les fantassins de ce combat ».

Cependant, aucun son de cloche n’est venu de la CEDEAO en rapport avec la nouvelle de la dissolution d’un interlocuteur auquel elle avait demandé et obtenu le report de la manifestation projetée le 04 août 2022. Le report avait d’ailleurs pour but de laisser une chance à la négociation qui n’est hélas pas à l’ordre du jour pour le CNRD. A force de changer constamment de fusil d’épaule, de créer des écrans de fumée,  l’ultimatum d’un mois donné à la Guinée par l’organisation sous-régionale pour dialoguer et proposer une durée de transition consensuelle et raisonnable, semble être passé à la trappe.

La nouvelle de la dissolution n’a pourtant pas étonné grand monde. L’esprit CNRD se déclinant, ces derniers temps, par l’écartement sans état d’âme de toute contestation de sa gestion unilatéraliste de la transition. La décision de la dissolution a donc permis, si besoin en était, d’élargir davantage le fossé qui sépare les « pro CNRD » et les « pro démocratie ». La question n’étant plus de savoir si la dissolution est légale ou illégale, elle consiste désormais à savoir qui est pour et qui est contre l’élimination du FNDC de la sphère socio-politique du pays.

Les soutiens du CNRD, dans leur grande majorité, ont salué la « décision courageuse » du ministre Mory Condé, alors que les pro FNDC ont, eux, regretté une décision qui vient amplifier la volonté de la junte miliaire de s’éterniser au pouvoir et de museler toute opposition à sa politique.

Le FNDC a, pour sa part et par communiqué, dénoncé l’illégalité de l’arrêté ministériel émanant d’un régime « illégal » et « illégitime » contre un mouvement citoyen qui est avant tout « un état d’esprit ». Pour Sékou Koundouno, responsable de la stratégie du mouvement, la décision du ministre Condé est nulle et de nul effet. Le Mouvement avait d’ailleurs lancé, dans la foulée, le mot d’ordre de manifestation le 17 août 2022 sur toute l’étendue du territoire national.

Dans sa volonté résolue de ne pas répéter les erreurs du passé, surtout l’erreur de laisser l’« Axe », épicentre des contestations politiques dans le pays, sous l’emprise du FNDC et en filigrane l’UFDG qui a clairement soutenu la manifestation du 17 août, le CNRD a poursuivi son opération de ratissage dans les quartiers environnant l’autoroute dit « Le Prince ». L’armée qui avait été réquisitionnée par le ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation pour contrer les débordements de la manifestation du 28 juillet 2022, s’est massivement déployée dans le secteur, créant ainsi une certaine psychose chez ses habitants.

Rappelons au passage que depuis la manifestation du 28 juillet 2022, Oumar Sylla alias « Foniké Menguè » coordinateur national du FNDC, Ibrahima Diallo, responsable des opérations dudit mouvement et Saikou Yaya Barry, secrétaire général du parti UFR (Union des Forces Républicaines) sont toujours détenus à la Maison Centrale de Conakry.

La stratégie de quadrillage et de ratissage des quartiers à haut risque de débordement avait été intensifiée dès le soir du 15 août, avec des dizaines de pickups stationnés aux différents points névralgiques de Conakry. Le siège de l’Axe semblait donc donner les résultats escomptés de l’étouffement de la manifestation à la mi-journée du 17 août au point de faire dire aux commentateurs que la manifestation n’a été suivie que très partiellement. L’échec du FDNC se déclinait dans tous les billets de presse.

En effet, si des villes de l’intérieur comme Labé et Dalaba ont été assez mouvementées à travers les affrontements entre manifestants et FDS, les velléités ont été carrément contenues dans l’Axe. D’ailleurs, le colonel Mamadi Doumbouya qui devait assister à l’inauguration des nouvelles installations de l’hôpital National Donka, a fait un détour par l’Axe, accompagné d’un impressionnant cortège militaire lourdement armée. À tort ou à raison, cette démarche a été qualifiée de « tournée triomphale » par maints observateurs.

Hélas, la grande faucheuse s’activait à prendre la vie de deux jeunes gens. Tués par balles alors même qu’aucun des deux ne se trouvait dans une quelconque manifestation. L’un était élève, l’autre chauffeur de taxi moto.

La « parade » du Colonel dans l’Axe était perçue par ses « partisans » comme un acte de bravoure face à un FNDC qui perdait ainsi son pari à la fois d’exister et de défier le CNRD. Cependant, l’annonce des décès par balles de Ibrahima Baldé (19 ans) et de Oumar Barry (17 ans) a terni leur joie.

Par un communiqué du 19 août, soit deux jours plus tard, alors qu’aucun officiel guinéen n’avait réagi au drame de Wanindara et de Hamdallaye, le Ministre secrétaire général et porte-parole de la présidence, le Colonel Amara Camara, a dit sa solidarité aux familles impactées par la manifestation du FNDC. Il a également démenti les affirmations selon lesquelles des agents des forces spéciales étaient présents dans le service de maintien d’ordre, et que le président était allé défier l’« Axe » en guise de triomphe, comme relayé sur les réseaux sociaux. Il a indiqué que le détour par la route le Prince avait été nécessité par les besoins d’un déplacement au programme du président dans le cadre d’une sollicitation.

Relevons au passage que le communiqué du colonel Amara Camara n’a comporté aucune mention des cas de décès enregistrés au cours de la journée de manifestation du 17 août et, logiquement, pas plus qu’il n’y a été question de condoléances d’usage à l’adresse des familles endeuillées.

Le communiqué consécutif du FNDC a consisté à attribuer la responsabilité des décès au CNRD et à « pointer du doigt les contrevérités du secrétaire général à la présidence ». Le mouvement a exhorté les Etats à refuser ou à mettre fin à toute coopération militaire avec la junte militaire au pouvoir en Guinée. Il a enfin appelé à l’ouverture d’une enquête sur les tueries sous l’égide des Nations Unies.

Force est de constater que la crise politique est grandement ouverte en Guinée et que le CNRD, qui semble ne rien craindre des ultimatums inoffensifs de la CEDEAO, mène cahin-caha sa barque qui navigue selon les humeurs de colonel président. Le dialogue dont on a annoncé la relance par l’arrivée à Conakry du médiateur Thomas Boni Yayi le dimanche 21 août 2022, est ainsi au point mort faute d’une volonté claire des autorités de la transition.

Autre fait marquant, l’ « invitation » du journaliste Ibrahima Lincoln Camara, chroniqueur de l’émission Mirador de la radio FIM FM par la par la HAC (Haute Autorité de la communication). Rendez-vous au cours duquel, il lui a été notifié sa suspension par ladite institution pour avoir déclaré, dans Mirador le 19 août 2022, que « les tués sont toujours de l’ « Axe » et portent toujours les mêmes patronymes. Ce d’autant plus que des manifestations se déroulent à d’autres endroits de la capitale sans faire de victimes. Le journaliste qui n’avait été que « invité » (et non convoqué) à un « échange » s’est vu infliger une sanction pour avoir enfreint l’éthique et la déontologie du journalisme, ainsi que le code de bonne conduite du journaliste guinéen.

La motivation de la décision de la HAC n’a pas manqué de susciter l’étonnement de Maître Mohamed Traoré, ancien bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Guinée, exprimé à peu près de cette manière « j’aimerais bien voir ce Code de bonne conduite des journalistes guinéens ».

Tout comme son collègue, Habib Marouane Camara, autre journaliste chroniqueur, est « invité » à son tour à « échanger » avec la HAC ce lundi 22 août 2022.

Le 20 août 2022, le FNDC a rendu public son programme d’une série de manifestations pacifiques le 28 août et le 4 septembre 2022 à Conakry. Comme un pied de nez au CNRD, le mouvement de fait, officiellement dissous, a projeté une journée manifestation sur toute l’étendue du territoire national le 05 septembre 2022, soit la date anniversaire du coup d’état du 5 septembre 2021. Il convient de s’interroger sur la stratégie du FNDC, faite essentiellement de manifestations, face à l’infléchissement du CNRD. Les manifestions sont-elles la meilleure et unique solution pour le pays ?

Pour finir, la surprise du chef suprême des armées avec le mini remaniement suite au séjour prolongé pour des « raisons médicales » de M. Mohamed Béavogui. En effet, Ce 20 août 2022 a connu non seulement la confirmation au poste de premier Ministre de M. Bernard Gomou, poste dont il assurait déjà l’intérim, mais aussi un petit jeu de chaises musicales dont le principal perdant reste M. Abé Sylla, limogé du gouvernement.

Tard dans la nuit du 20 au 21 août 2022, Monsieur Lounceny Camara, ancien ministre et ancien député du RPG arc-ciel, rendait l’âme à l’hôpital Ignace Deen alors qu’il était en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pendante devant la Cour Spéciale pour la répression des Crimes Economiques et Financiers.

Cette triste nouvelle a fait dire à beaucoup d’observateurs que le régime CNRD en ayant, comme le régime d’Alpha Condé, son premier mort en détention, semble s’être résolument lancé dans une course effrénée vers les pratiques liberticides du régime déchu.

* Photo d’illustration : école primaire fréquentée par Camara Laye à Kouroussa.

Le bâtiment aurait récemment été rénové.

Mardi 23 août 2022

Titi Sidibé et Mory Mohamed Camara

 

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