La problématique des Transports en Guinée : diagnostic et propositions [Par l’ambassadeur Djigui Camara]
En matière de Transports, sous toutes ses formes, la Guinée, notre pays, accuse une véritable crise qui pénalise fortement le mouvement des populations exposées aux risques d’insécurité routière. Cette situation provoquée par la mauvaise gestion des décennies de gouvernance n’est pas cependant une fatalité si la volonté politique s’affirme.
À raison ou à tort, pour les jeunes Guinéens de la génération actuelle, il est difficile sinon impossible d’admettre que leur pays, la République de Guinée, fut, en matière de transport de personnes et de biens, une référence en Afrique.
En effet, la Guinée disposait d’un réseau de routes et de pistes, certes, en terre, mais bien entretenu par les subdivisions des travaux publics implantées sur l’ensemble du territoire national. Elle bénéficiait également, à cette époque lointaine, d’une compagnie nationale de chemin de fer, l’ONCF Conakry-Niger, aujourd’hui démantelée et disparue. Cette compagnie assurait des liaisons quotidiennes régulières par train à grande vitesse (autorails) et à petite vitesse (trains BB) entre Conakry et Kankan, desservant plusieurs villes et villages le long de la voie ferrée.
L’arrivée des trains à Kankan, terminus de la ligne ferroviaire, notamment celle de l’autorail, était l’occasion d’une véritable fête. Marchands, vendeurs et vendeuses, ainsi que les taxis et charrettes à traction animale, se précipitaient à la gare pour accueillir ou accompagner les voyageurs et vendre des marchandises, comme dans toutes les gares traversées. C’était une véritable célébration.
Le 22 février 2011, le nouveau Président Guinéen, Alpha Condé et l’ancien Président Brésilien, à l’époque, Luiz Inàcio Lula Da Silva (à nouveau Président depuis le 1er janvier 2023) ont présidé la cérémonie de pose de première pierre pour la restauration et la réhabilitation de cette voie ferrée Conakry-Kankan-Kérouané a eu lieu le 22 février 2011 en suscitant une indescriptible joie chez les populations Guinéennes et même au sein de celles de la sous-région notamment le Mali et la Côte d’Ivoire, 2 pays voisins frontaliers proches de la Haute Guinée et de la Guinée Forestière. Les travaux devaient s’exécuter sur 662km. La première phase de ce projet de grande utilité financé à hauteur d’un milliard USD par la société Brésilienne VALE
s’achevait en décembre 2012 et concernait le trajet de 330 km.
Malheureusement, le projet, avant même le de début des travaux a été brutalement interrompu sur instruction du Président Guinéen, au motif que l’écartement métrique retenu, le même qu’auparavant, ne convenait pas. Cette décision malheureuse a définitivement enterré le projet de relance du chemin de fer Conakry-Niger, tué en toute impunité par de véreux hauts cadres et opérateurs économiques dont la cupidité et la voracité ont entraîné le démantèlement systématique et la vente des rails à leurs profits sans que l’Etat ne lève le moindre doigt. Incroyable.
Aujourd’hui, ce projet dans l’impasse, demeure plus qu’hier une entreprise de grande utilité économique, au-delà du simple transport des passagers
Par ailleurs, la première République pour affirmer conforter la souveraineté nationale et aussi, dans le souci de faciliter la mobilité des Guinéens tant à l’intérieur qu’à l’extérieur et aussi pour compléter et diversifier les modes de transport, a créé en 1960 la première compagnie aérienne nationale, Air Guinée. Le personnel, entièrement Guinéen, une première en Afrique, faisait la fierté du continent par son professionnalisme et la qualité de ses prestations.
Air Guinée a non seulement servi les Guinéens, mais aussi les ressortissants des pays voisins. Pour faire face à l’augmentation du trafic, la compagnie disposait d’une importante flotte d’avions pour les vols nationaux et internationaux, avec des équipages entièrement Guinéens. Pendant plusieurs décennies, Air Guinée fut la meilleure compagnie de la sous-région, desservant presque toutes les capitales de l’Afrique de l’Ouest (Abidjan, Bamako, Lomé, Lagos, Dakar, etc.), bien avant la disparition d’Air Afrique.
Le transport maritime, quant à lui, n’était pas en reste. Pendant longtemps, le trafic le long de la zone côtière (de plus de 365 km) a été assuré par des compagnies de transport maritime, au moyen de divers navires, dont le Tinguilita et l’Overbeek, particulièrement entre Conakry et Kamsar, avant que ces services ne cessent définitivement pour diverses raisons. Une initiative récente de relance du transport côtier a été initiée par la société navale entre Kamsar et la Sierra Leone. Si elle se poursuit, elle pourrait offrir une réelle opportunité pour la desserte de la zone côtière.
En plus de ces navires destinés à la navigation intérieure, la Guinée disposait, sur le plan du transport maritime international, de deux gros navires sous pavillon Guinéen, qui assuraient le transport des marchandises à destination et au départ de Conakry. Des liaisons fluviales régulières existaient également entre Kankan, Bamako, Mopti et Gao, offrant une grande opportunité pour les populations locales.
Malheureusement, cette liaison fluviale est aujourd’hui interrompue, bien que des dispositions devraient être prises pour sa relance immédiate, d’autant plus que la Guinée et le Mali entretiennent d’excellentes relations d’amitié et de coopération. Ces liaisons permettaient à l’époque le transport de passagers et de marchandises, notamment en saison des pluies, et contribuaient à l’approvisionnement en produits halieutiques séchés de la Haute Guinée.
En définitive, il apparaît que la politique de transport de la Guinée dans ce passé lointain était bien pensée et surtout cohérente, intégrant harmonieusement tous les modes de transport possibles. Chaque composante de ce système était complémentaire, avec les routes, le chemin de fer, et le transport aérien jouant chacun leur rôle pour faciliter la mobilité des Guinéens et le transport des biens.
Pendant longtemps, cette diversité des modes de transport offrait un large choix aux consommateurs Guinéens et garantissait la fiabilité et la durabilité du système. Mais aujourd’hui, tout cela a disparu. Le transport routier, qui présente de nombreux défis (infrastructures dégradées, coût élevé, dangerosité), est désormais le seul mode de transport disponible en Guinée, ce qui crée une situation pénible, coûteuse et dangereuse pour les voyageurs.
Les causes de cette dégradation du secteur des transports en Guinée sont multiples. L’une des principales raisons est liée à la mauvaise gestion qui a amené le pays à se faite contraindre par les mesures d’ajustement structurel imposées par les institutions de Breton Woods, qui ont été des facteurs supplémentaires de suppression des subventions et la privatisation des entreprises d’État. La mauvaise gouvernance et ces mesures combinées ont conduit à l’abandon et à la disparition de plusieurs entités économiques notamment du secteur des transports avec Air Guinée et le chemin de fer Conakry-Niger démantelé et livré au marché en toute impunité.
En outre, les gouvernements successifs ont concentré leurs efforts sur la construction de routes, négligeant le développement des autres modes de transport. Cette politique doit être revue afin d’offrir une chance égale à la réhabilitation et au développement des autres modes de transport, notamment le ferroviaire et l’aérien.
Le développement de ces infrastructures complémentaires est essentiel pour l’avenir de la Guinée. La Guinée pourrait, par exemple, solliciter l’assistance technique et financière de ses partenaires disposés pour la réhabilitation du chemin de fer Conakry-Kankan et l’extension des lignes vers d’autres régions du pays.
En ce qui concerne la relance du transport aérien, des efforts devraient être faits pour acquérir des aéronefs destinés aux vols domestiques et réhabiliter les pistes à l’intérieur du pays, en vue de rouvrir les escales.
En conclusion, la relance et le développement concerté des différents modes de transport en Guinée ne sont pas une option, mais une nécessité pour assurer la croissance économique du pays. Ces efforts contribueront à améliorer l’offre de transport et à réduire les conséquences fâcheuses de la situation actuelle, notamment en termes de sécurité routière.
Djigui Camara, ancien ministre de la Coopération internationale