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Nouhou Baldé : « la Guinée est en train de dégringoler sur le plan du respect de la liberté de la presse »

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La Guinée à l’image des autres pays du monde célèbre la journée internationale de la liberté de la presse dans un moment de crise sanitaire et économique aigüe. Le pays a perdu trois points dans le rapport des Reporters sans frontière (RSF) pour 2019 du classement mondial de la liberté de la presse.

En prélude à la célébration de cette importante journée pour les médias, Nouhou Baldé, journaliste, fondateur et administrateur général du site www.guineematin.com a au cours d’une interview qu’il a accordée à votre quotidien en ligne www.verite224.com, fustigé les violences devenues récurrentes contre les journalistes guinéens. Le promoteur du média est aussi revenu sur les autres difficultés dont rencontre la presse guinéenne. Lisez.

Verite224.com : que vous inspire la journée du 3 mai ?

Nouhou Baldé : la journée du 3 mai est la journée internationale de la liberté de la presse, consacrée par l’Organisation des Nations Unies depuis 1993 et qui est célébrée en dent de scie en République de Guinée. Quand on venait d’arriver dans ce métier en 2001, le général Lansana Conté avait desserré un peu plutôt. Donc, il y avait des journées de célébration. Les autorités organisaient ces genres d’activités et c’était l’occasion pour les journalistes de déposer aux autorités leur cahier de charge comme le font les travailleurs ou le syndicat des travailleurs à l’occasion du 1er mai. Donc, c’est notre journée internationale.

En Guinée, qu’est-ce que vous retenez de cette célébration ?

Je retiens que les autorités ne l’accompagnent pas. Il n’y a pas eu de célébration en tant que tel depuis pratiquement l’arrivée du professeur Alpha Condé. Il nous a été donné de constater qu’il y a des journées qui se passent sans aucune cérémonie. Il y a de ces journées-là où on voit le ministère de la communication se mettre en avant, on parle plutôt de restriction, on se met à donner des conseils aux journalistes, alors que c’est l’occasion pour les journalistes qui exercent le métier comme les responsables des médias d’exprimer aux autorités leur satisfaction et les besoins qu’ils ont. On sait qu’il y a assez de manquements, nous vivons une situation politique très difficile et les journalistes ne sont pas épargnés.

 

Dans le rapport RSF, la Guinée a perdu 3 points, nous constatons de plus en plus des bavures des autorités, des violences contre les journalistes, des menaces, des poursuites judiciaires abusives contre les journalistes. Qu’est-ce que vous pensez de ce recul de la Guinée ?

Nous avons perdu probablement plus que ça. Puisque toutes les restrictions, tous les abus et les répressions ne sont pas remontés au niveau de RSF. RSF parle sans doute des journalistes qui ont quitté le pays, ça ne se dit pas souvent et c’est pourtant une vérité ! On m’a parlé d’un journaliste qui était au bureau de presse de la présidence de la République et qui s’est exilé en Europe ; et, il y a également d’autres qui ne le disent pas ici mais qui attendent d’arriver de l’autre côté pour expliquer les raisons pour lesquelles ils ont quitté notre pays. Il y a donc souvent ces journalistes qui fuient les abus et les difficultés qui attendent d’être de l’autre côté pour étaler tout. Les observations de RSF sont basées sur ces journalistes exilés, sur les répressions constatées sur le terrain de reportage par les forces de sécurités. Parce que très souvent, des journalistes ayant des gilets, des badges, des dictaphones, etc. sont confondus à des manifestants, ils sont interpelés, détenus pendant des heures ou des jours et qui se font libérer quelques fois après des négociations. Ça, s’est passé à plusieurs reprises, même à notre niveau.

Avec des paiements de rançon ?

Quelques fois vous négociez, peut-être vous écrivez des papiers que souhaite voir l’autorité qui veut manipuler votre journaliste ou vous faites intervenir d’autres personnes pour l’aider à quitter le commissariat de police, etc. Ça s’est passé avec nous par exemple à Lélouma où le journaliste avait été détenu pendant des jours à la gendarmerie, suite aux instructions données par le préfet. Récemment, c’était à Kankan où le journaliste était allé couvrir une manifestation des élèves-maîtres, il avait été interpelé par la police et détenu au commissariat. Cela s’est passé également à Nzérékoré où le gouverneur en personne a assumé avoir interpellé notre journaliste. Il l’a convoqué et gardé pendant des heures pour un interrogatoire injustifié. Notre correspondant était injoignable et était au bureau du gouverneur. Pour savoir qu’il n’était pas en prison, il a fallu qu’on ait accès au gouverneur. On avait donc parlé personnellement au téléphone avec le gouverneur qui a reconnu être à l’origine à cela. Il avait convoqué les hauts gradés de la zone pour intimider le journaliste, etc. Ce sont donc des pratiques qui sont courantes chez nous mais qui ne sont pas forcément remontées et suffisamment connues de RSF. Ce qui veut dire que notre pays aurait perdu plus que les trois places si tout était connu de RSF.

Bref, la Guinée est en train de dégringoler sur le respect des droits humains et le respect de la liberté de la presse. On ne parle même pas du côté économique. Vous savez que dans ces rapports, RSF tient aussi compte de cet aspect. On ne l’évoque pas souvent chez nous… On voit l’Etat guinéen faire un communiqué radio diffusé, parler pendant un mois d’une subvention que le chef de l’Etat, dans sa magnanimité, aurait donnée aux médias ; et, après le partage, vous vous rendez compte qu’il y a des organes de presse qui se battent et auxquels on alloue 316 000 GNF pour toute l’année ! Et, vous voyez un communiqué pendant un mois en train de tympaniser les gens en disant que le président a octroyé ceci ou cela. Or, cette subvention, il faut le rappeler, a été accordée à la presse guinéenne par le feu général Lansana Conté. C’est lui qui a fait l’effort d’accorder cette subvention à la presse privée et cette pratique est même en cours dans les autres pays. Le capitaine Moussa Dadis Camara, à son arrivée à la tête du pays, a revu ça à la hausse. Avec le professeur Alpha Condé, on a plutôt des difficultés de décaissement parce que le débat en cours ne concerne même pas la subvention de cette année, on parle de la subvention de l’année passée ; celle de 2020, malgré la crise actuelle, on n’en parle même pas ! C’est de la subvention de 2019 qu’on parle et qui n’est toujours pas encaissée par les médias. Donc, il y a des difficultés un peu partout. Que ça soit sur le plan économique ou politique. Il n’y a aucun respect pour cette pratique dans notre pays, malheureusement.

 

Nouhou Baldé, Fondateur et administrateur général de Guineematin au cours d'une interview dans son bureau
Nouhou Baldé, Fondateur et administrateur général de Guineematin au cours d’une interview dans son bureau

Vous avez énuméré plusieurs cas d’abus contre les journalistes et aussi vous avez rappelé qu’au temps de feu général Lansana Conté, il y avait moins d’abus que maintenant. Il s’agit quand même d’un paradoxe. Comment vous expliquez ce paradoxe, un militaire qui a été beaucoup plus tolérant qu’un professeur d’université qui devient de plus en plus dictateur, qui s’attaque aux journalistes et qui emprisonne les gens. Comment vous expliquez ce paradoxe ?

C’est clairement une grosse déception. Je pense que l’explication ne peut partir que de la volonté personnelle du président Alpha Condé de rester à la tête de ce pays toute sa vie. Nous avons constaté qu’il a changé la constitution, visiblement pour pouvoir rester au pouvoir. Le général Lansana Conté était venu par un coup d’Etat à la tête du pays. Il avait été victime de toute sorte d’attaques de la part de l’opposition comme des médias. Mais, il nous avait concédé des libertés.

Nous parlons aujourd’hui de la liberté de la presse en Guinée. Elle a été acquise dans la sueur de nos ainés qui ont fait plusieurs fois la prison. Qui ont subi énormément. Il y en a qui ont perdu la vie, il n’y a pas eu d’enquêtes pour établir la responsabilité des autorités ; mais, il se trouve que les gens ont tenu tête pour nous offrir cette liberté de la presse, malheureusement qui est en train s’effriter sous le règne du professeur Alpha Condé, qui paraissait pourtant comme étant l’ami des journalistes. Je rappelle qu’après son emprisonnement en 2001, le professeur Alpha Condé avait fait le tour des principaux médias privés de l’époque pour les féliciter parce que selon lui, il devait sa vie et aussi sa liberté au combat des journalistes qui l’accompagnaient dans cette période difficile. Aujourd’hui, c’est ce même professeur Alpha Condé qui malheureusement est en train d’empiéter sur la liberté de la presse. Malheureusement, c’est un paradoxe ! Mais, voyez l’autre pan de ce paradoxe, au temps du général Lansana Conté, on a donné la liberté à tout promoteur de médias, de créer sa radio, sa télévision ; au temps du professeur Alpha Condé, on refuse de donner des agréments à des gens qui veulent les acquérir. Donc, c’est compliqué. Et, malheureusement, ça n’a pas l’air de s’améliorer. A son arrivée, Alpha Condé semblait plutôt regardant sur les abus et il dénonçait quand ses ministres refusaient de communiquer ou peut-être se comportaient mal. Il recevait les journalistes à la présidence de la république. Il accordait un peu plus d’importance aux journalistes que maintenant.

 

Il y a certains journalistes qui brillent de manière mauvaise, qui ternissent l’image du métier, il y a des problèmes, selon vous qu’est-ce qu’il faut pour que la presse guinéenne soit de plus en plus professionnelle ?

Il faut qu’on se regarde en face et qu’on accepte de nous parler, qu’on essaye d’épurer, qu’on ait notre propre police, qu’on puisse effectivement oser dénoncer et même d’extirper ces mauvaises graines de notre noble profession. Ils sont-là, ils ternissent l’image de toute la corporation comme vous le dites ; mais, malheureusement, au niveau des autorités, c’est comme si on le favorisait, parce qu’à côté, vous voyez la tendance, vous voyez ce qui se passe, vous voyez justement ces gens qui font très mal le métier avoir beaucoup plus de privilèges que ceux qui se battent avec rigueur sur le terrain. On ne sent pas une volonté d’assainir et c’est pour cela qu’il est important qu’à notre niveau qu’on essaye de faire cet assainissement.

 

Votre mot de la fin pour clore notre entretien ?

Je souhaite bonne fête à votre organe, aux lecteurs de verite224.com et à toute la presse guinéenne. Vous me permettez de souhaiter bonne fête particulièrement aux journalistes, reporters, collaborateurs de guineematin.com et à toute la presse guinéenne. Mais, encore une fois, il est bon de savoir que la liberté ne se donne pas, elle s’arrache. Donc, il faut qu’on se lève, on ne doit pas baisser les bras.

Entretien réalisé par Ousmane Diallo

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