Souapiti : l’activiste Mariam Barry revient sur le rapport de Human Rigths Watch qui accable le gouvernement guinéen
Le barrage de Souapiti, le plus grand projet hydroélectrique de Guinée jusqu’à présent, a le potentiel d’améliorer considérablement l’accès à l’électricité dans un pays qui a désespérément besoin d’un approvisionnement énergétique fiable. Mais le barrage de 450 mégawatts, qui fait partie du projet chinois « Belt and Road Initiative » (BRI), présente un coût substantiel pour les communautés locales.
Des milliers de villageois perdront des terres agricoles à cause de la retenue d’eau et, ce faisant, leur accès à la nourriture et aux revenus. Birgit Schwarz s’entretient avec l’activiste guinéenne Mariama Barry de son travail pour le nouveau rapport de Human Rights Watch et de la nécessité pour les investisseurs chinois de mieux protéger les droits sociaux et environnementaux des populations affectées par les projets d’infrastructure.
Quel impact la construction du barrage a-t-elle eu jusqu’à présent sur les moyens de subsistance des populations ?
La grande majorité des personnes réinstallées sont des agriculteurs dont les familles exploitent des terres de la zone depuis des générations. La plupart sont extrêmement pauvres. Après avoir quitté leurs foyers et alors qu’une grande partie de leurs terres sont inondées ou au moins ne sont plus accessibles, beaucoup ont du mal à nourrir leurs familles. Ils cultivaient presque tout ce qu’ils consomment. Mais comme le gouvernement ne leur a pas donné de terres de substitution, ils doivent maintenant trouver de l’argent pour acheter de la nourriture sur les marchés locaux. « Nos champs ayant disparu », nous a déclaré un agriculteur, « nous vendons peu à peu notre bétail pour joindre les deux bouts ».
Pourquoi la Guinée a-t-elle besoin de ce barrage ?
La Guinée a besoin d’un meilleur accès à l’électricité. Les quartiers résidentiels n’ont souvent l’électricité que quelques heures par jour. L’accès rural à l’électricité, tout particulièrement, est dérisoire. Mais on ne sait pas dans quelle mesure les Guinéens ordinaires bénéficieront réellement du projet Souapiti : une partie de l’électricité sera utilisée au profit de l’industrie minière en plein essor en Guinée et une autre sera exportée. On ignore également si les communautés déplacées par le barrage aient eux-mêmes accès à l’électricité qu’il va produire – les sites où ils ont été réinstallés ne sont pas pour le moment connectés au réseau.
Quelle est l’ampleur du déplacement ?
La construction du barrage de Souapiti nécessite le plus grand déplacement de populations de l’histoire de la Guinée. Selon le gouvernement, le réservoir du barrage entraînera à terme le déplacement d’environ 16 000 habitants de 101 villages et une superficie de 253 kilomètres carrés de terre. Le gouvernement a commencé à remplir le réservoir du barrage l’an dernier, provoquant le déplacement des populations de 51 villages préalablement à la montée des eaux. Les villages restants seront réinstallés avant la saison des pluies cette année, lorsque le réservoir du barrage s’agrandira encore.
De nombreux villages touchés sont très isolés. Lorsque nous avons débuté nos recherches, il n’y avait pratiquement aucune information accessible au public sur leur emplacement. Nous les avons identifiés en élaborant une carte qui superposait la taille prévue du réservoir du barrage sur l’imagerie satellite de la région. La plupart des villages que nous avons visités étant situés le long d’une route non pavée et criblée de nids de poule, il nous a souvent fallu plusieurs heures pour nous rendre d’un village à un autre.
Où les communautés affectées sont-elles réinstallées ?
Selon le Projet d’Aménagement Hydroélectrique de Souapiti (PAHS), l’agence gouvernementale qui supervise la réinstallation, les villageois ont eu le choix entre des zones de réinstallation et ont pu visiter les sites. Mais les terres choisies pour la réinstallation appartiennent à d’autres communautés. Les familles réinstallées ne reçoivent pas de titre de propriété de leurs nouvelles terres, uniquement un document attestant du consentement de la communauté hôte à les leur céder. Cela risque toutefois de provoquer de futurs conflits fonciers, compte tenu de la taille de la zone qui doit être inondée et la compétition pour les terres qui pourrait suivre. Déjà, les communautés déplacées affirment qu’elles n’ont pas assez de terres cultivables pour subvenir à leurs besoins. Informées des plaintes de villageois réinstallés, certaines des communautés qui n’ont pas encore été déplacées essayent désormais de ne pas être. Mais en fin de compte, elles n’auront pas le choix. C’est soit partir, soit être inondé.
Comment les gens sont-ils indemnisés pour la perte de leurs terres et de leurs récoltes ?
Aucune des communautés déplacées avec lesquelles nous nous sommes entretenus n’a été indemnisée pour la perte de leurs terres, seulement pour les récoltes et les arbres qui y poussaient. Le PAHS fait valoir que parce que ces terres étaient des propriétés coutumières, les gens n’ont pas droit à une compensation, une position qui constitue une violation des normes internationales. Souapiti n’a pas non plus fourni aux résidents déplacés des terres cultivables de substitution. En lieu et place, elle a promis de les aider à cultiver plus efficacement leurs terres restantes et à trouver de nouvelles sources de revenus, comme la pêche. Jusqu’à présent, cependant, les résidents déplacés n’ont reçu aucune assistance de cet ordre.
Il est vrai que certaines personnes ont été indemnisées pour la perte d’arbres fruitiers et de cultures. Mais la façon dont cette compensation a été calculée n’est pas claire. Les reçus que nous avons examinés ne précisaient pas le nombre d’arbres possédés par une famille ou s’il s’agissait de jeunes plants ou déjà fructifères, ce qui affecterait leur valeur marchande. Les documents ne fournissent pas non plus de détails sur le nombre de cultures enregistrées dans le cadre d’un inventaire. Et beaucoup de personnes dédommagées estiment que leur compensation n’est pas proportionnelle à leurs pertes.
Existe-t-il des moyens de faire appel ?
Les gens ont adressé de nombreuses lettres aux autorités locales et nationales, le plus souvent en vain. Le PAHS reconnaît qu’au cours du processus initial de déplacement, aucun mécanisme formel de plainte n’avait été prévu, et que les gens n’avaient pas accès à des conseils juridiques indépendants. Récemment, les responsables du barrage se sont enquis auprès des communautés de leurs griefs et de leurs besoins. Mais les efforts concrets déployés n’ont pas résolu les problèmes de réinstallation initiaux, comme l’insuffisance des terres de substitution pour les communautés affectées, et le manque de solutions leur permettant de rétablir de manière adéquate leurs moyens de subsistance. Les mêmes pratiques problématiques se poursuivent.
Quelles obligations de surveillance la Chine a-t-elle en tant qu’investisseur dans le projet ?
Le barrage fait partie de l’Initiative Ceinture et Route (« Belt and Road Initiative », BRI) de la Chine, un investissement de mille milliards de dollars dans des infrastructures qui couvre environ 70 pays. Bien que le gouvernement guinéen gère le processus de réinstallation lui-même, le barrage est construit par une entreprise chinoise – China International Water & Electric Corporation (CWE), une filiale du deuxième plus grand constructeur de barrages au monde, la société étatique China Three Gorges Corporation – et est financé par la Banque d’export-import de la Chine (Eximbank).
Suite aux critiques au sujet de l’impact environnemental et social de certains projets BRI, il est important que les compagnies et banques chinoises impliquées dans de tels projets BRI en Afrique fassent le maximum d’effort pour respecter les droits humains. Nos recherches ont permis de constater que CWE et Eximbank ont développé leurs propres politiques qui, en principe, les engagent à adopter des pratiques environnementales et sociales plus viables. Ils devraient donc superviser plus étroitement la gestion par le gouvernement guinéen du processus de réinstallation et offrir leur expertise et leurs ressources pour garantir le respect des droits des communautés déplacées.
Que faut-il faire pour que le barrage de Souapiti et des chantiers similaires à l’avenir s’avèrent moins dévastateurs pour les communautés touchées ?
D’abord et avant toute chose, compte tenu de leur impact sur les droits humains, sociaux et environnementaux, le gouvernement devrait déterminer si tous les projets hydroélectriques prévus en Guinée sont nécessaires et raisonnables. Là où des barrages sont construits, le gouvernement doit s’assurer du respect de toutes les normes nationales et internationales lors du processus de réinstallation. En outre, l’indemnisation que les personnes déplacées doivent recevoir doit être équitable et transparente, et ceux qui ont été réinstallés disposer de suffisamment de terres pour retrouver leurs moyens de subsistance et se voir accorder leur propriété légale. Enfin, il est essentiel que le gouvernement prenne au sérieux les préoccupations des personnes touchées. Si les griefs des déplacés sont ignorés, les projets d’infrastructure à grande échelle appauvriront encore davantage des communautés déjà vulnérables.
Human Rights Watch