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Chronique de la transition : les fantômes du passé

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Comme une balade le long des sentiers de la transition, le processus enclenché le 5 septembre 2021 a connu des arrêts marqués au cours de la semaine dernière. Admettons que la semaine a été riche en événements, tellement riche qu’il nous a fallu choisir entre les sujets à appréhender et ceux dont la seule évocation suffit à l’œuvre d’information.

La 38ème semaine de la transition a véritablement démarré le soir du mardi 31 mai 2022 par l’annonce de la hausse du prix du carburant de 10000 à 12.000 GNF, soit une hausse de 20% à partir du 1er juin 2022. Le sort est parfois cruel, car quelques mois plutôt, suite à sa prise du pouvoir, l’une des mesures phares de la junte militaire avait été de ramener le prix du litre de carburant à la pompe à 10.000 GNF, supprimant ainsi l’augmentation de 1000 GNF opérée par le régime déchu quelques semaines plus tôt.
Si nous pouvons relever l’effet surprise ou encore le déficit de pédagogie autour de l’annonce de l’augmentation du prix du carburant par le gouvernement de transition, il parait difficile de lui faire le procès d’une mauvaise décision, compte tenu du contexte international défavorable dominé par l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes le 24 février 2022.

Hasard du calendrier, la nouvelle de l’augmentation du prix du carburant coïncide avec celle de l’invite faite par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU aux autorités de la transition de révoquer l’interdiction des manifestations décidée par décret le 13 mai 2022. Le communiqué de l’ONU qui a également dénoncé les démolitions d’habitations dans tout le pays, a rappelé que l’interdiction des manifestations politiques sur la voie publique est de nature à violer les libertés fondamentales et constitue « un recul sur la voie du renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit ».
Par un communiqué du mardi 31 mai 2022 qui s’apparente à une réponse claire adressée à l’institution onusienne, le CNRD (non le gouvernement) a indiqué qu’« aucune marche ne sera autorisée aussi longtemps que les garanties d’encadrement ne seront pas réunies ». Notons que tant le ton utilisé que le choix des mots dénotent une certaine inflexion de la part des autorités de la transition même si, au demeurant, l’interdiction des manifestations reste maintenue. Les termes « autorisation » et « garanties » sont là les éléments de langage savamment choisis pour traduire l’invitation implicite faite par le CNRD à la classe politique pour amorcer un dialogue dont on est en droit d’interroger la sincérité.

Dans le second communiqué, on peut également noter toute la précaution prise par le CNRD pour rappeler le massacre du 28 septembre 2009, les nombreux morts lors des manifestations politiques sous Alpha Condé et la nécessité de régler les différends par le dialogue au sein d’un cadre de concertation. En outre, le nouveau communiqué semble bien mieux motivé que le précédent, mais pêche une fois de plus par son unilatéralisme existentiel, voire congénital. En effet, peut-on raisonnablement porter atteinte à une liberté fondamentale au prétexte que les garanties d’encadrement de celle-ci ne sont pas réunies ? Quant à la charge de l’encadrement des manifestations, n’incombent-elle pas à l’Etat ?

Souvenons-nous que le point d’achoppement entre le CNRD et une partie de la classe politique, notamment le G58 élargi au RPG, reste la définition du cadre de discussion : « cadre de concertation » pour le premier et « cadre de dialogue » pour les seconds. De l’entendement du G58 et le RPG, le cadre de dialogue offre, par expérience, plus de garantie pour le respect des accords à intervenir. Il comporterait l’arbitrage des partenaires financiers et institutionnels – enfin ses participants sont supposés être plus représentatifs et crédibles.

Conséquemment, comme il fallait s’y attendre, l’annonce de l’augmentation du prix du carburant a donné lieu à des scènes de guérilla urbaine entre protestataires et agents des forces de l’ordre dans certains quartiers de la capitale. Ces manifestations spontanées s’inscrivaient dans une atmosphère de défiance aux autorités de la transition, notamment dans l’Axe. C’est dans ce contexte que Thierno Mamadou Diallo, jeune collégien de 18 ans a été tué par une balle en pleine tête, le soir du 1er juin 2022, alors qu’il se trouvait dans un « cyber salon de coiffure » à Hamdallaye (Plaque).
L’annonce du décès de jeune collégien renvoie indubitablement aux démons de la litanie d’assassinats par balles lors des affrontements dans les manifestations politiques qui avaient émaillé les onze années du régime Alpha Condé. Alors que d’aucuns dénonçaient le retour des décomptes macabres dont l’opposition se délecterait, à contrario les autres martèlent qu’il s’agit bien malheureusement de la première victime civile depuis l’avènement de la junte militaire au pouvoir en Guinée.

Précisons que le jeune Thierno Mamadou Diallo n’était pas impliqué dans la manifestation, au moment où il a reçu la balle qui lui fut fatale, et que la manifestation en marge de laquelle il a été tué était un rassemblement spontané et non organisé par un quelconque parti politique.

Si une certaine opinion et les médias ont rapidement souligné le manque de réactivité des autorités policières et judiciaires dans les premières heures qui ont suivi l’annonce de la mort de Thierno Mamadou Diallo – Un cafouillage s’était en effet installé dans la prise en charge régulière du corps du défunt – l’histoire retiendra que le ministre de la sécurité a, dès le lendemain, présenté ses condoléances à la famille de la victime. Il a également fait part de son indignation et de celle de tout le gouvernement tout en promettant que le ou les responsables de la mort du jeune homme seront retrouvés et sévèrement punis : « Si des têtes doivent tomber, des têtes tomberont ».

De son côté, le procureur Général, Alhoussein Charles Wright, s’est rendu à la morgue de l’hôpital Ignace Deen pour s’enquérir du contexte du drame et de l’effectivité de la prise en charge de l’enquête judiciaire et médico-légale. Regrettant l’empressement avec lequel une certaine presse avait tiré des conclusions sur l’attitude des autorités judiciaires et hospitalières, il a indiqué avoir saisi la brigade de gendarmerie territorialement compétente pour mener rapidement l’enquête sur le drame.

Même si on peut regretter l’absence de déclaration publique du président de la transition sur le drame de la mort tragique du jeune Thierno Mamadou Diallo, il y a lieu de souligner, une fois n’est pas coutume, le changement de paradigme affiché par le ministre de la sécurité et le procureur général vis-à-vis des cas d’assassinats dans la gestion des manifestations.

Les développements qui précèdent illustrent que l’interdiction des manifestations politiques est une fausse bonne idée de la part des autorités de la transition puisque la manifestation du 1er juin 2022, bien que n’étant pas une manifestation « autorisée » a été entachée par une mort atroce. Il conviendrait que le CNRD s’accorde sur la nuance sémantique à apporter entre « interdiction de manifestation » (premier communiqué) et « marche non autorisée » (second communiqué). Rappelons sur ce point qu’en Guinée les manifestations ne sont pas soumises à une autorisation préalable, mais elles peuvent être interdites ou géographiquement modulées pour des raisons impératives et dument motivées.

N.B. :
Lors du sommet des chefs d’état et de gouvernement du 04 juin 2022 à Accra au Ghana, la CEDEAO a décidé de renvoyer sa décision sur la transition en Guinée au 3 juillet 2022. En attendant, elle a exprimé ses vives préoccupations sur la détérioration de la situation sociopolitique à cause de l’absence de cadre de dialogue approprié entre le gouvernement, les leaders politiques et la société civile.
Mardi 7 mai 2022

Titi Sidibé Babatiti et Mory Mohamed Camara

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