Coronavirus : Diyé Ba signe une tribune commune avec quatre autres anciens ministres de la santé
« L’absence de réponse sanitaire, sociale et économique risquerait de plonger le continent africain dans une crise politique profonde dont on ne mesure pas encore les effets. »
Le coronavirus Sras-CoV2 s’est invité de façon aussi inattendue que brutale pour faire de nous des témoins et des parties prenantes d’une crise sanitaire parmi les plus graves de l’histoire de l’humanité. Si l’Asie en a été le point de départ et l’épicentre, c’est sans surprise qu’elle s’est installée en Europe, centre de gravité et lieu de convergence des principales activités du monde globalisé, puis aux Etats-Unis qui détiennent désormais le record de personnes positives au Covid-19.
Ainsi en quelques semaines, le coronavirus a fait le tour du monde au bénéfice d’un rythme de propagation sans précédent dans l’histoire des épidémies.
Si le village planétaire du monde globalisé est resté jusque-là dans ses hiérarchies et ses rigidités territoriales, économiques et sociales, la pandémie du coronavirus est en train de secouer dans ses fondations le vieux monde du siècle passé ; elle vient nous défier dans nos certitudes, sur nos modes de production – notre incapacité à produire localement des choses essentielles comme les principes actifs de médicaments ou les masques par exemple –, nos modes de consommation, la pertinence de nos déplacements… et surtout sur notre capacité à protéger les populations.
Elle nous questionne sur notre faculté à nous adapter face à la crise, en activant des amortisseurs sociaux, et à maintenir nos économies pour ne pas mettre les Etats à terre.
Ni le Sras-CoV1 de 2003 avec ses 8 000 cas recensés dans le monde, ni le Mers-CoV de 2012 avec ses près de 1 600 cas, n’avaient créé d’alerte aussi criante au point d’évoquer un « avant » et un hypothétique « après » l’épidémie.
Cette fois le Sras-CoV2 et ses plus de 1 600 000 cas actuels, soumet au monde un véritable crash-test en conditions réelles !
Alors que les objectifs du millénaire ne sont pas encore atteints, et malgré la mobilisation des instances multilatérales, une faille de plus en plus béante s’installe entre les pays riches et les autres.
Les systèmes de santé nationaux sont mis à rude épreuve. Ils le sont dans les pays développés mais que dire des pays émergents ou en voie de développement ? Alors que les objectifs du millénaire ne sont pas encore atteints, et malgré la mobilisation des instances multilatérales, une faille de plus en plus béante s’installe entre les pays riches et les autres.
Car malgré la globalisation de l’agresseur, il n’y a pas de globalisation dans la réponse à la guerre qu’il nous livre ; et les Etats continuent à se débattre à l’échelle de leurs espaces nationaux, incapables de relever le défi des solidarités qu’on est en droit d’attendre dans un contexte de périls quotidiens pesant sur la vie de centaines de millions d’êtres humains.
Réponses mondiales. Rendons-nous à l’évidence. Cette crise sanitaire sans précédent apparaît dans un contexte où manifestement le modèle ultralibéral de l’économie de marché d’après-guerre comme le système de coopération multilatérale ont montré leurs limites objectives quant à leur capacité à répondre de façon diligente aux attentes et aspirations profondes des citoyens à l’échelle du monde globalisé.
Alors que le virus mortifère se répand dans tous les continents, frappant sans discernement dans tous les segments de la société, aucune réponse collective coordonnée, de coresponsabilité et de solidarité n’a encore pu voir le jour.
C’est donc le moment d’agir et de le faire avec célérité et rigueur pour faire face aux extrêmes urgences de l’heure et sous peine d’un bilan dramatique.
Il est essentiel de surmonter les égoïsmes nationaux en privilégiant des réponses mondiales formelles à la hauteur des enjeux sanitaires et éthiques.
La récente décision du G20 d’injecter 5 000 milliards de dollars dans l’économie mondiale pour « contrer les répercussions sociales, économiques et financières de la pandémie » va dans le bon sens. Mais quelle est la réponse apportée à l’appel de certains pays africains, comme le Sénégal, qui demandent « l’annulation de la dette des pays en voie de développement pour accompagner la résilience du continent » ?
Au-delà de la mise en place de financements, il est crucial de renforcer la coopération scientifique internationale et de mettre en commun la connaissance sur cette pandémie. Les bonnes pratiques et stratégies de soins doivent être largement partagées. En effet, la solidarité doit s’affirmer pour accompagner les réponses sanitaires les plus pertinentes face à la réalité des systèmes de santé nationaux, et répondre aux angoisses des peuples en détresse face à la virulence de la pandémie.
L’absence de réponses sanitaire, sociale et économique risquerait de plonger le continent africain dans une crise politique profonde dont on ne mesure pas encore les effets.
Il est évident que l’humanité ne peut sortir intacte de cette crise. Saurons-nous prendre nos responsabilités pour préserver notre capital le plus précieux, la santé ? Saurons-nous définir et adopter une méthode de réaction intégrée comme une leçon tirée de cette crise sanitaire sans précédent, et inventer de nouvelles solidarités ?
Les anciens ministres de la Santé signataires :
- Abdou Fall, Sénégal ;
- Diye Ba, Mauritanie.
- Dorothée Kindé-Gazard, Bénin ;
- Nora Berra, France ;
- Samira Meraï-Friaa, Tunisie.