Sadou Bah : « j’ai été vendu comme esclave en Libye » [Entretien exclusif]

Diplômé en relations internationales de l’Université Kofi Annan de Guinée, Sadou Bah a décidé de rejoindre l’Europe par la Méditerranée. Il entreprend un long trajet qui le conduit avec des difficultés dans beaucoup des pays avant de rejoindre Zabrata en Libye où il s’embarque pour Lampedusa. Mais son embarcation échoue quelques heures après le départ.
Sadou est vendu comme esclave. Il parvient à fuir et fini par rentrer au pays. Depuis, il essaye de reconstruire sa vie dans son pays. Il a accepté de raconter son histoire au cours d’une interview exclusive qu’il a accordée à www.verite224.com. Lisez.
Verite224.com : Monsieur Bah vous avez été en Libye, expliquez-nous comment l’idée vous est venue de partir ?
Sadou Bah : c’est en 2017 que ça s’est passé. C’est après la fin de mes études en 2012, j’ai remarqué que depuis que j’ai fini, je n’ai pas eu d’emploi, même avoir un stage c’était un problème. Je suis resté là jusqu’en 2017 ça n’allait pas du tout. C’est comme ça l’idée m’est venue de partir pour traverser la Méditerranée afin de me rendre en Europe. C’est tous ces problèmes, les difficultés, les chômages qui m’ont poussé à partir.
Comment vous êtes parti ?
Au début c’était vraiment difficile car je n’avais pas d’argent même pour le départ. Je suis allé voir un ami pour l’expliquer mon cas. Il a essayé de me faire changer l’idée. Comme j’étais finalement décidé, je lui ai dit qu’il faut qu’il m’aide à partir. Je lui ai dit de m’aider à avoir une petite somme même si c’est pour le transport pour partir jusqu’au Mali. Arrivé au Mali je vais travailler et me débrouiller pour le reste. Il m’a donné 500 mille (50 euros), c’est avec cet argent que j’ai payé pour me rendre au Mali. J’ai fait plus d’une semaine à la gare routière de Bamako le temps pour moi d’appeler ma grande sœur qui est en Belgique. J’ai dit à ma grande sœur de m’aider pour mon transport afin de continuer mon chemin. Elle m’a envoyé 200 euros. C’est cet argent que j’ai pris, je suis venu jusqu’au Niger.
Au Niger, l’argent était déjà fini. J’ai fait des différents travaux comme la maçonnerie et autres pour avoir quoi traversé. C’est à partir du Niger que j’ai trouvé des coxeurs [les intermédiaires]. J’ai rencontré un coxeur sénégalais. Il m’a promis de m’envoyer jusqu’en Italie à condition de payer 300 mille francs CFA. Je me suis battu, j’ai eu 100 mille et mes parents ont payé les 200 mille restants. J’ai payé les 300 mille au coxeur. Il m’a fait perdre beaucoup de temps plus de quatre mois à Agadez. Je me suis révolté contre lui, je lui ai demandé de me rendre mon argent ou bien de me faire passer. C’est après ça qu’il m’a pris pour m’introduire dans un groupe des Nigérians. On s’est formé en convoie. On était 34 personnes dans un pick-up. On a fait plus de huit jours dans le désert.
Dans le désert, avez-vous rencontré des difficultés ?
Oui on avait eu beaucoup de problèmes. Le manque d’eau, la chaleur, il y avait trop de chaleur. On a croisé un groupe de rebelles dans le désert qui nous a dépouillés de tout ce qu’on avait. Il y a eu beaucoup de morts. Il y a eu huit morts à cause du manque d’eau, d’autres aussi n’ont pas pu résister à la chaleur, à la souffrance.
Dès qu’on est arrivé en Libye à la frontière, on nous a mis dans une cellule, on nous interrogeait sur qu’on est venu faire. Ils nous ont dit que si on ne paie pas, ils ne vont pas nous laisser franchir la frontière. Avec les négociations des chauffeurs qui nous amenaient on nous a demandé de payer chacun 5000 francs CFA. On a cotisé, on a payé l’argent pour passer la frontière. Arrivé à Sabah, on nous fait entrer dans un camp détenu par un passeur Burkinabé. C’est lui qui était chargé de faire passer les gens pour Zabrata. Le Burkinabé m’a dit que je n’ai pas payé. Il m’a dit que le sénégalais n’a pas payé mon transport, il a dit que je suis venu sans payer. Je lui ai dit pourtant que j’avais payé mon transport. Il me dit alors qu’il va me vendre si je ne paie pas son argent et que je vais rester dans sa cour. Ce burkinabé travaillait avec des arabes rebelles. J’ai fait trois jours dans cette prison. C’est au troisième jour que j’ai essayé de fuir. L’argent qu’on me demandait était trop, c’était 300 mille francs CFA, je n’avais pas cet argent et je ne voulais pas demander encore mes parents de m’envoyer de l’argent. On nous frappait tout le temps. C’est au 3e jour que j’ai fui de la cour. Je suis resté à Sabah et mes parents m’ont envoyé de l’argent pour partir à Zabrata où on embarque les gens pour la Méditerranée.
Comment vous vous êtes embarqués et quelle a été la suite ?
C’est à Zabrata qu’on nous a lancé sur l’eau pour traverser. On a fait plus de quatre heures sur l’eau. On nous a lancé vers les 21h, on s’est retrouvé entre minuit à 1h du matin. C’est à cette heure que notre zodiac s’est perforé. L’eau a commencé à rentrer. On était plus de 100 personnes dans ce zodiac. Il y avait beaucoup de mort. Des pécheurs arabes qui étaient dans les environs sont arrivés pour nous sauver.
Vous avez été vendus par ces pêcheurs, expliquez-nous comment ça s’est passé ?
Ils nous ont d’abord secourus. Quand on est arrivé sur terre, ils nous ont demandé de payer. On a compris que c’est des revendeurs. Ils travaillaient avec des Nigérians en réseau. Ils nous ont revendu aux arabes qui cherchaient des mains d’œuvres pour leurs champs et plantations. On nous vendu à 3000 dinars libyens. Ces arabes qui nous ont acheté, nous ont envoyé dans leur village pour faire des travaux forcés.
Quelles étaient les conditions de travail ?
Les arabes qui nous ont acheté travaillaient aussi avec des rebelles. Ce sont ces derniers qui nous surveillaient. Il y avait beaucoup des tâches, il y a des esclaves qui déterraient les arachides, certains c’est pour cueillir les pommes d’autres c’est pour cueillir des pommes. Moi j’étais chargé de déterrer les arachides. On commençait à travailler le matin jusqu’à 11heures, on nous envoyait le petit déjeuner. Ce petit déjeuner c’était juste un petit morceau de pain et un sachet d’eau. De 11heures, on travaille jusqu’à 18heures, parfois 19heures après on nous mettait dans des cellules. Quand on travaillait il y avaient deux ou trois personnes qui avaient de fusils qui nous menaçaient de tirer sur nous à chaque fois par exemple quand on essaie de se reposer. Donc, tu étais obligé de te courber pour travailler.
Comment vous avez fui ?
A chaque fois on nous promettait de nous libérer mais ils ne faisaient pas. Donc, l’idée m’est venue de fuir. J’ai parlé à mon codétenu sénégalais, je lui ai convaincu de quitter. Je lui ai dit que si nous restons ici ils vont continuer à nous exploiter. C’était pendant la nuit. L’endroit où on nous enfermait, les tôles étaient mauvaises. On a arpenté le mûr, on a soulevé les tôles puis on est partis.
Racontez-nous le trajet après votre fuite.
J’ai continué avec mon ami sénégalais mais au cours de la route on s’est perdu. Chacun a pris un chemin. Je suis allé me réfugier dans une mosquée. C’est dans cette mosquée que j’ai rencontré l’Imam. Je lui ai expliqué mon cas et il a payé mon transport pour Tripoli, la capitale. J’ai appelé mes parents qui m’ont envoyé de l’argent pour quitter le pays pour l’Algérie puis je suis allé au Maroc. Je suis allé au Maroc pour traverser, là-bas aussi ça n’a pas marché. J’ai contacté l’OIM (Organisation internationale pour la migration) pour rentrer volontairement. Comme j’étais trop fatigué, j’ai finalement décidé de rentrer à la maison.
Est-ce que vous regrettez d’être parti ?
Oui je regrette bien parce que ça été une perte du temps pour moi. Une grande souffrance.
Qu’est-ce que vous dites à ces jeunes qui veulent emprunter le même chemin que vous ?
C’est d’abandonner l’idée. C’est de rester ici et essayer de faire quelque chose ici. Même s’ils veulent quitter c’est de partir légalement avec un visa.
Entretien réalisé par Fatoumata Binta Diallo