Violences à N’zérékoré : l’ancien premier ministre Kabiné Komara accuse « les pyromanes » dans une tribune
Stoppons-les immédiatement et faisons échec aux pyromanes !
Voici que depuis ce 22 mars jour du double scrutin, des affrontements d’une rare violence et d’une ampleur inouïe déchirent la région de N’zérékoré située à près de 1000 km de Conakry.
Toutes les bonnes volontés doivent s’ajouter aux autorités pour arrêter la douloureuse descente aux enfers et œuvrer rapidement pour nouer les fils de l’apaisement entre les habitants de la contrée, évitant ainsi de mettre durablement dos à dos des composantes aussi importantes de notre nation.
En effet, les images insoutenables montrent de nombreuses familles désespérées, d’innocentes personnes (hommes, femmes, jeunes et vieux) cruellement fauchées sous les coups de boutoirs de personnes surexcitées, elles-mêmes incapables de justifier la logique de leurs cruelles forfaitures.
Des acquis, fruits de plusieurs années de durs labeurs de paisibles citoyens ont été réduits à néant en un rien de temps ; Habitations, plantations et autres biens matériels, rien n’a été épargné.
Plus grave, le sacré été désacralisé dans l’aveuglement des pyromanes qui n’ont pas hésité à détruire églises et mosquées, comme pour demander à notre Créateur de nous infliger encore plus sa Divine Colère.
Ce dernier affront à nos religions, doublé de relents communautaires est un véritable cocktail Molotov dont la déflagration n’épargnera personne.
Trop c’est trop
Nous devons nous ressaisir pour mettre immédiatement et énergiquement un terme à cette spirale d’autodestruction.
Les fils du terroir, de quelque bord qu’ils soient et ou qu’ils résident doivent pour cela mettre leurs ressentiments de côté et s’engager résolument dans cette mission salvatrice. Les autres composantes de la nation doivent déployer la même énergie pour le même objectif.
Les bases et les ressources morales pour y arriver existent.
Une première raison est que cette région est celle dont d’éminents fils ont montré la voie depuis longtemps pour forger des alliances fécondes qui ont ébranlé les assises du pouvoir colonial et jeter les bases de notre nation. Ainsi, le grand résistant Zébéla Togba Pivi avait en son temps apporté une aide très précieuse à l’Almamy Samory Touré dans sa mémorable lutte contre la pénétration coloniale. Fait rare pour être signalé, l’Almamy matérialisera sa gratitude en offrant à son allié Zebela Togba une légendaire bague que les héritiers de ce dernier conservent encore précieusement aujourd’hui.
Il y a lieu aussi de rappeler que c’est à Nzérékoré que le très respecté Niankoye Samoï s’associa avec le futur président Ahmed Sékou Touré pour former la première liste de candidatures communes afin de briguer des sièges à l’Assemblée Territoriale en1953 et ceci bien avant l’élection de Sékou Touré à Beyla.
Une deuxième raison tient au fait que les populations de la contrée devraient être à même de tirer les leçons des douloureux évènements qu’elles ont éprouvé dans un passé récent. En effet, plus que toute autre partie de notre pays, c’est cette région qui a eu à subir les affres des conflits multiformes qui ont ravagé le Libéria, la Sierra Leone et l’Ouest de la Côte d’Ivoire.
C’est aussi cette contrée qui a malheureusement été entrainée, bien malgré elle, à maintes reprises, dans de regrettables drames communautaires manipulés par des politiciens égoïstes.
Enfin, et c’est là une réalité constante, plus que toute autre partie de la Guinée, cette région est l’endroit où les interpénétrations ethniques ont créé de merveilleux exemples de brassage, de métissages culturels, religieux et même partenariaux entre ses différentes communautés Manons, Kpèlè , Loghoma , Konianké et Malinké.
Ces communautés ont conclu un historique pacte sacré en 1694 à Missadou, en vertu duquel, elles prenaient toutes, le serment inaltérable de toujours vivre dans la bonne entente et la solidarité réciproque.
Ainsi, malgré la stratégie de division des colons, ce pacte ne fut jamais violé pendant toute la période coloniale. Les mêmes communautés ont continué de jouir du même bonheur du vivre ensemble durant toute la première république.
C’est avec l’avènement du libéralisme et du multipartisme que des politiciens en manque de vraie légitimité ont surfé sur la fibre ethnique pour semer la discorde et attiser des problèmes mineurs et de grande banalités qui ont conduit parfois à des affrontements meurtriers.
Il est donc grand temps pour nos populations de tourner le dos aux opportunistes et de revenir aux nobles valeurs qui ont fait leur fierté d’antan.
Ces valeurs ont été magnifiées par le père Apollinaire Cécé curé de la paroisse Saint Augustin de Samoé, dans sa pathétique homélie prononcée lors des funérailles du regretté Albert Loua, maire de la localité. Ce dernier avait rendu l’âme à Conakry en septembre 2009 alors qu’il était venu prendre part à la première réunion des maires de Guinée au cours de laquelle il fut plébiscité comme meilleur Maire du pays à cause de ses remarquables réalisations.
Son symbole justifia que, Premier Ministre que j’étais à l’époque, je dirigeai la délégation officielle à ses obsèques à Samoé- sous-préfecture située à 10 km de Nzérékoré.
La considération dont il jouissait de toutes parts fit qu’après l’église, des bénédictions furent faites aussi pour lui le lendemain à la Grande mosquée de Nzérékoré-centre; preuve que l’inaltérable serment de Missadou (1694) garde toute sa valeur de rassemblement des communautés.
La région regorge de dignes filles et fils d’une rare honnêteté intellectuelle qui ont servi et continuent de servir encore le pays avec abnégation. Il y a lieu de mobiliser toutes les initiatives dans le sillage des devanciers Patriarches de la contrée comme le doyen Goïkoya Zogbélémou, les Honomou fondateurs de Gbaya , les Lamah de la chefferie traditionnelle de Goueké- Céoba, les doyens Maringbè – Bakary, Konomba Kanté , Séboury , Diané , Sacko ophtalmologistes traditionnels et tant d’autres valeureux prêcheurs de la paix et du vivre ensemble.
L’appel fort opportun lancé par l’Etat suivi des salutaires mesures mises en œuvre par les autorités dans la zone pour contenir tout nouveau débordement doit être accompagné par des actions plus soutenues pour mettre fin à l’impunité et éviter de sanglantes récidives.
Déjà, il faut saluer et encourager les immenses efforts en cours par les sages, les religieux et les représentants de toutes les communautés pour ramener le calme dans la cité. Leur cohésion permettra d’organiser des obsèques dignes en faveur des victimes pour l’âme lesquels nous nous inclinons pieusement.
Tous ensemble avec le soutien des autorités morales et religieuses, des leaders d’opinion, des acteurs de la société civile, des organisations de jeunesse et de femme ; notre devoir est sans réserve et sans délai, de fermenter une prise de conscience généralisée pour apaiser les cœurs meurtris, panser les plaies, catalyser l’Assistance aux victimes, recréer progressivement la confiance et ramener la sécurité
Kabiné Komara
Ex-Premier Ministre