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L’autre face cachée du double scrutin du 22 mars 2020 :  la marchandisation des militants de l’opposition

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Les militants et responsables politiques à la base de l’opposition guinéenne sont transformés en produits mercantiles depuis le scrutin du 22 mars 2020. Lamarana Petty Diallo explique comment cette situation risque de perdurer tant que l’opposition guinéenne ne comprendra pas qu’il n’y a pas une seule géométrie en politique.

Parmi les militants de l’opposition et du FNDC, ceux de l’union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) semblent être les plus exposés à ce qui est devenu une course au profit, sous forme de racket, de corruption et d’enrichissement illicite. L’explication est toute simple. L’UFDG est supposée être le parti le plus pourvoyeur de manifestants et, comme telle, leur arrestation massive pourrait être très rentable financièrement. A cette fin, une vraie stratégie d’usufruit est mise en place par le pou-voir-RPG.

Des maires, des membres des conseils municipaux de l’intérieur sont massivement arrêtés et emprisonnés. Beaucoup de sous-préfectures, préfectures et communes rurales en ont connu : Gongoret, Timbo, Porédaka, Boulliwel, Dounet dans la préfecture de Mamou. Mais aussi N’Zérékoré où il y a eu des dizaines de morts, à Gaoual, Labé, Conakry, etc.

Des parlementaires n’y ont pas échappé : la députée uninominale de l’UFDG de Mamou, Djessira Traoré a été interpelée à plusieurs reprises alors qu’à Labé Cellou Baldé a essuyé les pires des menaces.  Donc, c’est une vraie stratégie qui est mise en place. Mais en quoi consiste-t-elle ?

D’anciens élus- RPG et de relais locaux pour déstabiliser l’opposition

La mécanique d’intimidation, d’arrestations, d’emprisonnements répond d’une stratégie bien mûrie.

Cette stratégie très peu visible par rapport aux meurtres et autres exactions contre les populations est plus souterraine mais très efficace dans la politique de musèlement de l’opposition. Cependant, elle est moins dénoncée par les médias.

Elle repose sur un mécanisme mercantiliste, une sorte de pratique d’usufruits qui profite aux représentants locaux du pouvoir qui en sont les usuriers. Elle s’est répandue un peu partout en Guinée.

La parodie électorale de mars dernier lui a servi de ferment et de terreau. Elle s’est vite avérée profitable avec ses retombées financières qui sont une source inespérée de revenus.

Son fonctionnement est axé essentiellement sur la délation et l’esprit de revanche. Des pratiques plus perverses, comme le projet du défunt Manding-Djalon et ses funestes tentatives d’opposition des Roundés et des Foulasso, ont été également ranimées à l’occasion.

Dans la pratique, les administrateurs locaux, tels que les sous-préfets mais aussi d’anciens maires ou présidents de CRD favorisent des incidents qu’ils imputent aux représentants et militants de l’opposition : déchirer des bulletins de vote, s’emparer de caisses, bousculer un adversaire politique, vouloir faire voter un mineur, etc.

Parfois, la provocation est poussée jusqu’à engager des nervis à tirer à balles réelles (de fusils de chasse) au milieu des gens pour provoquer la panique afin d’en profiter pour mettre le feu sur les biens et le matériel de vote. Ce fut le cas à Gongoret, Mamou, par exemple.

Le mécanisme est si pernicieux que les maires de l’opposition sont à la merci des sous-préfets. Qu’ils soient moins expérimentés, moins audacieux ou plus engagés, ils sont sous surveillance de leurs adversaires d’en face : les sous-préfets représentants le pouvoir.

La réalisation de telles actions repose sur les personnes évoquées mais sur des hommes de main. Mais, n’est pas homme de main qui veut. 

Un mécanisme de recrutement digne d’un enrôlement militaire

Beaucoup d’observateurs soutiennent que le RPG a réussi à fanatiser ses militants à l’esprit ethnique : le « Agbansandé » n’a jamais été aussi opérationnel qu’en période électorale.

En plus de militants jusqu’au-boutistes, ce parti semble avoir une espèce de milice anonyme qu’il aurait infiltrée au tréfonds du pays. Elle peut agir sous l’étiquette des Donzos qui sévissent en Guinée-Forestière après avoir traumatisé Conakry. Ils peuvent aussi se cacher derrière les agents de sécurité distillés un peu partout sous la casquette de gendarmes.

C’est aussi des contractuels zélés comme des gardes forestiers, des enseignants rêvant d’être titularisés et qui ne se vendraient pas chers. Tous sont sous la subordination d’une hiérarchie souvent opaque.

On est exactement comme sous le PDG : « je te surveille, tu me surveille autant que nous sommes tous sous la surveillance d’un invisible ». De la sorte le parti est tranquille et chaque chef local fait sa loi et vit sur le dos des autres.

On a donc affaire à un maillage territorial d’agents qui agissent et rendent compte à l’image d’un pouvoir communiste ou dictatorial. On sait que la Guinée cumule les 2 facettes doublée d’une ethno-stratégie endémique.

C’est cette subordination à l’autorité appuyée par l’action de responsables locaux du pouvoir   qui a permis de multiplier les foyers de tensions qu’il fallait créer coûte que coûte lors du vote de mars dernier.  Dans tous les cas, celui qui te ravit ta concubine n’épargnera pas ta femme s’il en a l’occasion. La cible étant, dans ce cas précis, les militants de l’opposition.

Mais les manœuvres du système ont une autre couleur. Un autre mécanisme permettant à chacun de sucer les doigts engraisser de billets de banque sera mis en branle.

Un mécanisme d’extorsion de fonds bien rôdé 

L’une des finalités de la stratégie et des mécanismes mis en place, c’est de faire des militants de l’opposition des vaches à lait du pouvoir. Derrière les arrestations se cachait toute une machine d’extorsion de fonds. Ainsi, à défaut de gagner aux urnes, on se remplit les poches.

C’est pour cette raison que les chefs locaux se sont rués, pourrait-on dire, sur les militants et les responsables de l’opposition et les ont arrêtés comme des bandits de grand chemin. Dès lors, le branle-bas commence.

Les familles, amis et proches mais aussi les partis politiques pris de court et débordés par le nombre d’arrestations se lancent à la cherche de solutions. Tous savent cependant que celles-ci se trouvent dans le fond de la poche et non du côté de la justice.

Du coup, les sollicitations commencent : les organisations villageoises ou communautaires, les proches vivant à l’étranger sont alertés. Finalement, des millions tombent aux mains de personnes qui tiennent plus à l’argent qu’à la loi. Les montants empochés, une parodie de justice se tient après une longue détention. « Les coupables » s’en tirent souvent avec une condamnation assortie de sursis et d’une forte amende. Les dernières victimes d’une telle pratique sont sorties de détention il y a moins de 10 jours.

A mon avis, l’opposition guinéenne devrait cesser de se résoudre à payer pour la libération de leurs. Il y a bien de méthodes pouvant mettre fin aux chantages financiers, aux arrestations et emprisonnements arbitraires.

Si elle refusait le rançonnage, les familles oseraient très certainement s’opposer aux arrestations des leurs. Les commis du pouvoir pourraient alors recevoir un accueil digne d’un voyou ou d’un hors-la-loi.

Quoi qu’il en soit, la libération des détenus ne résout pas tout : les arrestations orchestrées sur la base de fausses accusations et autres délations laissent des traces.

Les liens familiaux

et communautaires à rudes épreuves

La crise post-électorale a aggravé la division au sein des familles et des communautés durement éprouvées depuis 2010. Avides d’argent, de titres ou de renoms, ceux qui avaient été battus aux municipales de 2019, se sont transformés, comme je l’ai indiqué, en ennemis jurés des victorieux. La plupart des candidats peu ou pas instruits, confondant adversité politique et ennemis à abattre, ont vu dans le double scrutin de mars une occasion de revanche.

Dès lors, les liens familiaux et intracommunautaires scellés par la naissance ou le mariage ; le droit de naisse et autres valeurs ont été foulées au sol. Des jeunes frères ont menti sur leurs aînés ; des neveux ont accusé leurs oncles et concouru à leur détention.

Certains ont troqué leur couronne d’El hadj ou leurs galons d’officiers pour descendre dans les   petites guéguerres villageoises. Des petits-fils ont injurié leurs grands-parents. Des imams se sont transformés en bonimenteurs, en diseurs de sort qui inventent de faux sacrifices dans l’espoir d’un gras de bœuf.

Ils sont nombreux ceux qui, durant le dernier scrutin, ont pratiqué au détriment des valeurs ancestrales, le sport le plus connu en Guinée : la recyclage politique.

Ignoreraient-ils que les pouvoirs passent alors que ceux qui sont nés sur le même patelin sont condamnés à vivre ensemble ? Que la montagne et la forêt demeurent, ce sont les primates qui les fréquentent qui émigrent ou changent de lieu.

Tous les Guinéens devraient savoir…

Il y a une vérité historique dont nous devrions prendre conscience pour nous ressaisir et sauver ce qui reste de notre pays.

Le PDG et Sékou Touré faisaient régner une dictature d’Etat.  Le RPG et Alpha Condé exercent une tyrannie ethnique. Aucune des communautés Soussous, Forestières et Peules n’a échappé de 2010 à nos jours à cette réalité politique.

En outre, le pouvoir actuel n’est plus légitime. Il est anti-guinéen, inhumain et anti-démocratique. Ses tenants sont des gangs organisés prêts à sacrifier jusqu’au dernier d’entre-nous pour se pérenniser.  Pire, ce pouvoir est dans la rue et ne trouve pas preneur.

Incontestablement, les stigmatiques du PDG ne sont plus rien face à l’héritage que nous laissera la présidence actuelle. Il faudra plusieurs décennies pour se remettre du pouvoir-RPG ; à panser les plaies sociales, politiques et économiques qu’il a ouvertes.

L’espoir est néanmoins permis car la longévité du pire des pouvoirs temporels dépend de la bonne volonté de ses administrés.

Un éveil de quelques heures y mettrait fin.

Par Lamarana-Petty Diallo

Professeur Hors-Classe de Lettres-Histoire France

lamaranapetty@yahoo.fr

 

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